<146> une sage timidité; c'est le plus grand fruit qu'on doit se promettre de la lecture de cet ouvrage.

Mais pourquoi perdre son temps, dira-t-on, à la recherche de la vérité, si cette vérité se trouve hors de la portée de notre sphère? Je réponds à cette objection qu'il est digne d'un être pensant de faire au moins des efforts pour en approcher, et qu'en s'adonnant de bonne foi à cette étude, on y gagne à coup sûr de s'affranchir d'une infinité d'erreurs. Si votre champ n'a pas beaucoup de fruits, du moins ne portera-t-il pas des ronces, et deviendra-t-il plus propre à être bien cultivé; vous vous défierez davantage des subtilités des logiciens, vous prendrez insensiblement l'esprit de Bayle, et découvrant du premier coup d'œil ce qu'un argument a de défectueux, vous parcourrez avec moins de danger les routes ténébreuses de la métaphysique.

Sans doute qu'il se trouvera dans le public des personnes d'un sentiment contraire au nôtre, qui s'étonneront de la préférence que nous donnons aux ouvrages de Bayle sur tant de livres de logique dont nous sommes inondés. Il sera aisé de leur répondre que les principes des sciences ont en eux une certaine sécheresse qu'ils perdent lorsqu'ils sont mis en œuvre par les mains d'un maître habile; et puisque notre sujet nous mène sur cette matière, il ne sera peut-être pas hors de propos, pour la jeunesse, de lui faire remarquer les différents emplois que les orateurs et les philosophes font de la logique. Le but pour lequel ils travaillent est entièrement différent : l'orateur se contente des vraisemblances, le philosophe rejette tout, hors la vérité. Au barreau, l'orateur chargé de défendre sa partie emploie tout pour la sauver : il fait illusion à ses juges, il change jusqu'au nom des choses, les crimes ne sont que des faiblesses, et les fautes deviennent presque des vertus; il pallie, il colore les faces de la cause qui lui sont contraires; et si ces moyens ne lui suffisent pas, il a recours aux passions, et il emploie ce que l'éloquence a de plus fort pour les exciter. Quoique l'éloquence de la chaire s'occupe d'objets