<68> faut savoir que chez les Turcs c'est l'usage que les troupes asiatiques retournent chez elles au commencement de l'arrière-saison. Les Russes, qui en étaient instruits, voulurent profiter de l'affaiblissement où serait l'armée du grand vizir après le départ d'une aussi grande multitude de combattants : par ordre de l'Impératrice, M. de Romanzoff envoya différents détachements de ses troupes au delà du Danube, et le maréchal, avec le gros de l'armée, consistant en vingt mille hommes à peu près, couvrit, derrière les fleuves, les provinces conquises de la Valachie et de la Moldavie. Il détacha le général Ungern, le prince Dolgoruki et le général Soltykoff, chacun à la tête de trois mille hommes. Ungern et Dolgoruki donnèrent sur une troupe de Turcs, qu'ils mirent en fuite; ils prirent le sérasquier qui les commandait, et quelques canons. Leur ordre portait de marcher de là sur Varna pour s'emparer de ce poste important et du port par lequel les troupes du vizir tiraient leurs magasins sur la mer Noire. Le malheur voulut que ces deux généraux se brouillèrent : Ungern s'avança seul vers Varna; il trouva la ville bien fortifiée, entourée d'un fossé profond rempli d'eau; une forte garnison la défendait, et le port était rempli de frégates turques, dont l'artillerie, fouettant tout le rivage, incommodait beaucoup les troupes russes. M. d'Ungern comprit qu'il lui était impossible de forcer cette place : ayant abandonné ce dessein, il fut, dans sa retraite, vivement harcelé par les Turcs; il y perdit son canon, sans compter une partie assez considérable de son monde. Il regagna cependant le Danube, tandis que, de leur côté, les Turcs s'emparèrent du magasin que les Russes avaient rassemblé pour cette expédition; ce qui les obligea tous à repasser le Danube, et ils rejoignirent leur armée, harassés, affamés, fatigués, et considérablement fondus.

Il semblait alors que la fortune, par un effet de ses caprices, lasse de ce qu'elle avait si constamment favorisé les Russes, voulait passer, par légèreté, dans le parti contraire. Déjà deux expéditions consé-