<143>La France, telle que nous l'avons dépeinte, était bien déchue, si nous comparons son état politique présent à ce qu'il était durant les belles années de Louis XIV. Il semblait que sa fécondité épuisée n'eût plus la force de produire d'aussi grands génies que ceux qu'elle formait alors. Écrasée par le poids de dettes énormes, elle en était sans cesse aux expédients. Un contrôleur général des finances était regardé comme un adepte : on voulait qu'il fît de l'or, et quand il n'en fournissait point à proportion des besoins, on le chassait aussitôt. On fit enfin choix du sieur Necker, tout calviniste qu'il était. On espérait peut-être qu'un hérétique, maudit pour maudit, en faisant un pacte avec le diable, fournirait les sommes nécessaires aux vues du gouvernement. L'État entretenait cent mille hommes de troupes réglées et soixante mille de milices. Ses ports étaient dégarnis de vaisseaux; à peine en trouvait-on douze en état d'aller en mer. M. de Maurepas se servit du temps où l'Angleterre faisait si mal à propos la guerre à ses colonies, pour relever la marine française. On travailla dans tous les chantiers dès l'année 1776. Trente-six vaisseaux de ligne étaient déjà construits, et dès l'année 1778, le nombre en était augmenté et montait à soixante-six, sans compter les frégates et les autres bâtiments. Les îles et les colonies américaines étaient toutes bien fournies de troupes. Peut-être n'avait-on pas eu la même attention pour les possessions françaises des Indes orientales. Tant de mesures préalables auraient dû ouvrir les yeux aux Anglais et leur pronostiquer une prochaine rupture avec la France, s'ils avaient su prévoir. La situation de la France, quoique n'étant pas des plus brillantes, n'en méritait pas moins l'attention des autres puissances. Ses dettes la mettaient dans l'impuissance de soutenir une longue guerre; mais forte de l'alliance de l'Espagne et de l'assistance qu'elle en pouvait tirer, on la voyait épier le moment pour tomber comme un faucon sur sa proie, et se venger sur la Grande-Bretagne des maux qu'elle lui avait causés durant la guerre précédente; et, en général, on ne pouvait rien