<138> le passage du Dniester, toutes les fois qu'elles voudraient pousser leurs conquêtes, soit en Moldavie, soit en Valachie; et même, s'ils laissaient passer leurs troupes, les Autrichiens, maîtres de la Bukowina, pouvaient les couper de leurs subsistances, ou du moins tenir la balance dans les guerres entre les Russes et les Turcs, selon qu'ils le jugeraient convenable à leurs intérêts. D'autre part, les Autrichiens intriguaient sans remise à Constantinople, afin d'entretenir l'aigreur que la dernière paix avait laissée entre la Porte et la Russie, et d'occasionner de nouvelles brouilleries. Les Français soufflaient également le feu de leur côté. Ces manœuvres sourdes animèrent enfin le Grand Seigneur, et occasionnèrent les déclarations au prince Repnin dont il a été fait mention, et cette esquisse de guerre dans la Tartarie-Crimée, qui fut apaisée ensuite.

Vienne était alors dans l'Europe le foyer des projets et des intrigues. Cette cour si arrogante et si altière, pour dominer sur les autres, portait ses vues de tous côtés pour étendre ses limites et pour engloutir dans sa monarchie les États qui se trouvaient situés à sa bienséance. Du côté de l'orient, sa cupidité méditait de joindre la Servie et la Bosnie à ses vastes possessions. Au midi, tentée par une partie des possessions de la république de Venise, elle n'attendait que l'occasion de s'en saisir, afin de joindre Trieste et le Milanais au Tyrol par un démembrement qui était à sa bienséance. Ce n'en était pas assez : elle se promettait bien, après la mort du duc de Modène, dont un archiduc avait épousé l'héritière, de revendiquer le Ferrarois, possédé par les papes, et de dépouiller le roi de Sardaigne du Tortonois et de l'Alexandrin, comme pays ayant toujours appartenu aux ducs de Milan. Vers l'occident, la Bavière lui présentait un morceau bien tentant. Voisine de l'Autriche, elle lui ouvrait un passage vers le Tyrol. En la possédant, la maison d'Autriche voyait le Danube courir presque toujours sous sa domination. On supposait, outre cela, qu'il était contraire à l'intérêt de l'Empereur de laisser réunir la Bavière