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XII. RÉFLEXIONS SUR LE MÉMOIRE DE LA COUR DE DRESDE.

Si le Roi a continué jusqu'ici de donner des preuves de sa modération et de son désir sincère de parvenir au rétablissement d'une paix solide et d'une bonne union et harmonie avec la cour de Dresde, par un traité dûment conclu, signé, et ratifié entre les deux puissances belligérantes, ainsi que l'usage et la nécessité, aussi bien que la sûreté réciproque des deux cours, l'exigent, Sa Majesté ne s'est point attendue qu'au lieu d'envoyer ici un ministre chargé des pleins pouvoirs suffisants pour achever d'autant plus promptement un ouvrage si salutaire, et finir les calamités d'une guerre que la cour de Dresde s'est attirée par sa propre faute, on voudrait les prolonger par la demande exorbitante et inusitée des restitutions et des redressements préalables de tous les inconvénients qui sont les suites ordinaires et inséparables d'une guerre à laquelle on a forcé le Roi par la conduite qu'on a tenue à Dresde à son égard, ainsi qu'il est connu de toute l'Europe.

On devrait savoir bon gré à la façon de penser du Roi, et reconnaître, comme la marque la plus éclatante de sa modération et de ses<234> sentiments pacifiques, que Sa Majesté, au lieu d'insister sur une indemnisation pleine et entière de l'invasion et des ravages faits par l'armée combinée autrichienne et saxonne en Silésie, par les contributions et les fourrages qu'on y a extorqués aux habitants, et par la ruine des plus riches contrées de ce duché, veut bien oublier tout le passé, et ne demande que la simple paix et la sûreté de ses États contre un voisin, qui, non content d'avoir envahi la Silésie, était sur le point d'en faire autant avec les secours étrangers qu'il avait appelés dans le cœur de ses pays, pour tomber sur les anciens États héréditaires de Sa Majesté, le fer et le feu à la main.

Si donc le Roi renonce généreusement à la juste demande, contre la Saxe, de toute indemnisation pour le passé, à plus forte raison celle-ci le doit-elle faire dans le cas présent, où elle ne saurait ignorer que les lois de la guerre autorisent pleinement les inconvénients dont on se plaint.

Tout ce qu'on peut exiger avec justice et raison d'un vainqueur, en pareille occasion, c'est de faire cesser les hostilités, les contributions et l'entretien de troupes, du jour même de la conclusion et de la signature de la paix : tel est l'usage une fois établi et constamment pratiqué entre tous les souverains qui sont en guerre, et dans tous les traités de paix qu'on conclut : vouloir s'en écarter, et insister opiniâtrement sur le contraire, c'est autant que de refuser tout accommodement raisonnable.

C'est la situation où les deux cours se trouvent; et les offres du Roi sur cet article justifient autant sa conduite, que le refus de la cour de Dresde d'y acquiescer, fait douter de sa sincérité pour un prompt accommodement. On a mauvaise grâce à Dresde d'en vouloir appeler à l'union des électeurs, aux pactes de famille qui subsistent entre les deux maisons, et aux lois de l'Empire : ces barrières respectables auraient dû arrêter et empêcher la cour de Saxe d'attaquer la première les États du Roi, et de leur préparer la ruine totale<235> dont elle les a menacés assez publiquement. C'est pour le Roi, comme partie lésée et attaquée, que ces engagements et ces lois parlent contre ses ennemis et agresseurs, qui, après lui avoir fait tout le mal possible et manqué celui qu'ils lui avaient préparé, doivent reconnaître leur tort, et se trouver bien heureux qu'on veut se contenter de passer l'éponge sur tout le passé, et donner les mains à une abolition réciproque de toute indemnisation. Cela se peut-il appeler pousser les choses à bout du côté du Roi, et en vouloir à la ruine totale d'un pays, que Sa Majesté souhaite avec tant d'ardeur de prévenir par une prompte conclusion de la paix, et par la cessation totale de toute hostilité et contribution, du jour même de la signature de la paix?

A qui en sera la faute, si la Saxe continue de souffrir les calamités d'une guerre défensive de la part du Roi, qui offre et qui presse de les finir par le simple rétablissement de la paix, sans exiger le moindre sacrifice ou dédommagement? Qui sera cause de la prolongation des troubles? Est-ce celui qui insiste sur un prompt raccommodement pour les faire cesser, ou celui qui le fait accrocher à des conditions que l'usage de toutes les guerres du monde n'admet point, et que les avantages du Roi rendent d'une nature à ne devoir pas même être proposées, si on a sincèrement envie de se raccommoder avec lui?

Au reste, si Sa Majesté le roi de Pologne souhaite, comme le Mémoire l'insinue, de se réconcilier sincèrement, de concert avec la cour de Vienne, avec le Roi, Sa Majesté n'en sera jamais éloignée, et on se souviendra qu'on a laissé le choix à la cour de Dresde de se raccommoder, ou conjointement ou séparément de celle de Vienne, avec le Roi, qui, de son côté, a apporté tant de facilités pour l'une et pour l'autre, qu'on peut hardiment défier toute l'Europe de pouvoir faire le moindre reproche à la sincérité de Sa Majesté et à la pureté de ses sentiments là-dessus.

Enfin, il faut espérer que la cour de Dresde, faisant réflexion sur la situation présente de ses affaires, et sur la dure nécessité où elle a<236> réduit le Roi d'user de ses avantages pour se procurer toutes les sûretés imaginables, ne voudra plus différer l'envoi d'un ministre autorisé pour conclure promptement une paix si désirée et si nécessaire au bien des États réciproques, sans accrocher davantage une œuvre si salutaire, à des demandes incompatibles avec les lois de la guerre et l'usage pratiqué constamment en pareille occasion. Ce sera la pierre de touche de la sincérité de la cour de Dresde; et si elle s'y refuse, on n'en saurait inférer d'autres conséquences, sinon qu'elle veut amuser le Roi, lui faire perdre ses avantages présents, et gagner assez de temps pour exécuter les vastes projets qu'on avait médités contre les États de Sa Majesté, et que la Providence divine et les glorieux succès des armes du Roi, ont jusqu'ici fait échouer si heureusement.