<78> vous connaissez mal l'échiquier, les pions et les officiers, il y a bien de l'apparence que vous ne gagnerez pas de partie aux échecs. Or la guerre est d'une bien autre importance que ce jeu. Nous examinerons en général quelles règles doivent être suivies constamment dans les trois guerres, offensive, à puissances égales, et défensive.

Commençons par l'offensive. La première chose, comme je l'ai dit, est de comparer toutes les forces des ennemis, conjointement avec celles de leurs alliés, aux vôtres et aux secours que vos alliés vous fourniront. Il faut une connaissance parfaite des pays dans lesquels vous allez porter la guerre, pour en connaître les postes, les marches que vous pourrez y faire, et pour juger d'avance des camps que l'ennemi pourra prendre pour déranger vos projets. Il faut surtout penser à vos subsistances, car une armée est un corps dont le ventre est la base;a quelque beau dessein que vous ayez imaginé, vous ne pourrez pas le mettre en exécution, si vos soldats n'ont pas de quoi se nourrir. Vous devez donc y pourvoir d'avance, former vos magasins et arranger vos dépôts dans le pays où vous portez la guerre, afin que les magasins soient à portée des endroits où vous comptez d'agir. La première maxime pour une guerre offensive est de former de grands projets, pour que, s'ils réussissent, ils aient de grandes suites. Entamez l'ennemi dans le vif, et ne vous contentez pas de le harceler sur ses frontières; la guerre ne se fait que pour obliger le plus tôt possible l'ennemi à souscrire à une paix avantageuse; cette idée ne doit pas se perdre de vue. Quand votre projet est fait, et que vous avez des subsistances suffisantes pour l'exécuter, vous devez raffiner sur tous les moyens imaginables de le cacher à votre ennemi, pour que, à l'ouverture de la campagne, vos mouvements lui donnent le change et lui fassent soupçonner des desseins tout différents des vôtres; rien ne dérange davantage ses mesures, rien ne l'engagerait à commettre plus de faux pas, et c'est à vous


a Voyez t. XXVIII, p. 18.