<44>sont plus pernicieux qu'utiles. On demande, de plus, qu'il soit dissimulé, paraissant naturel, doux et sévère, sans cesse défiant et toujours tranquille, ménager par humanité et quelquefois prodigue du sang de ses soldats, travaillant de la tète, agissant de sa personne, discret, profond, instruit de tout, n'oubliant pas une chose pour en faire une autre, et ne négligeant pas comme étant au-dessous de lui ces petits détails qui tiennent si fort aux grandes choses.

Je recommande toutes ces qualités, à cause de leur importance. En voici la raison. L'art de cacher sa pensée, ou la dissimulation, est indispensable à tout homme qui a de grandes affaires à conduire. Toute l'armée lit son sort sur son visage; elle examine les causes de sa bonne ou de sa méchante humeur, ses gestes; en un mot, rien n'échappe.a Quand il est pensif, les officiers disent : Sans doute que notre général couve un grand dessein. A-t-il l'air triste ou chagrin : Ah! dit-on, c'est que les affaires vont mal. Leur imagination, qui se donne à de vaines conjectures, croit pis que le mal réel. Ces bruits découragent, ils courent l'armée, et passent de votre camp dans celui de l'ennemi. Il faut donc que le général soit comme un comédien, qui monte son visage sur l'air qui convient au rôle qu'il veut jouer, et, s'il n'est pas maître de lui-même, qu'il affecte une maladie, ou qu'il invente quelque prétexte spécieux pour donner le change au public. Arrive-t-il quelque mauvaise nouvelle, on fait semblant de la mépriser devant le monde, on étale avec ostentation le nombre et la grandeur de ses ressources, on dédaigne l'ennemi en public, on le respecte en particulier. Si quelque parti essuie une disgrâce à la petite guerre, on en examine la raison; on trouve toujours que c'est la mauvaise conduite ou l'ignorance de l'officier qui l'a mené qui en est la cause; on dit ouvertement que ce n'est point faute de la bravoure des troupes qui ont eu à essuyer ce malheur; on examine les fautes de cet officier, et on en fait une leçon aux autres. De cette fa-


a Voyez t. VIII, p. 133.