<42>La guerre défensive invite et conduit naturellement aux détachements. Les petits génies veulent tout conserver, les hommes sensés ne voient que l'objet principal; ils parent les grands coups, et souffrent un petit mal pour en éviter un de plus grande conséquence; qui conserve tout ne conserve rien.a La partie essentielle où il faut s'attacher, c'est à l'armée de l'ennemi; il faut deviner son véritable dessein, et s'y opposer de toutes ses forces. Nous abandonnâmes la Haute-Silésie au pillage des Hongrois, l'année 1745, pour nous opposer avec plus de force aux desseins du prince de Lorraine,b et nous ne détachâmes qu'après l'avoir bien battu; Nassau chassa ensuite en quinze jours les Hongrois de toute la Haute-Silésie.

Il y a des généraux qui détachent avant que d'attaquer l'ennemi, pour que ce corps arrive pendant l'affaire, et tombe sur les derrières de l'ennemi. Cela est dangereux, à cause que ces détachements sont sujets à s'égarer, à arriver trop tard ou trop tôt. Charles XII détacha la veille de la bataille de Poltawa; le détachement s'égara, et le Roi fut battu. Lorsque le prince Eugène voulut surprendre Crémone, il manqua son coup, à cause que le détachement du prince Vaudemont, qui devait attaquer la porte du Pô, arriva trop tard. Il ne faut détacher dans les batailles que comme Turenne le fit à Colmar,c où il présentait sa première ligne vis-à-vis du front de l'électeur Frédéric-Guillaume, et où sa seconde ligne se glissa par des chemins creux sur le flanc de ce prince, qu'elle attaqua et qu'elle fit plier; ou comme fit M. de Luxembourg à la bataille de Landen, où, à la faveur du blé, qui était fort haut, il fit passer un corps d'infanterie sur le flanc du prince Guillaume d'Orange, et gagna la bataille par cette manœuvre.d


a Voyez ci-dessus, p. 18.

b Voyez t. III, p. 113 et suivantes.

c Le 5 janvier 1675. Voyez t. I, p. 84.

d Ces quatre dernières lignes sont remplacées dans la traduction, p. 74 et 75, par celles-ci : Oder auch wie es der Maréchal de Luxembourg in der Bataille von Fleurus machte, wo er unter Faveur des Getreides, welches sehr hoch stand, ein Corps Infanterie passiren und auf die Flanquen des Fürsten von Waldeck fallen liess, durch welches Manœuvre er die Bataille gewann. Dieses geschahe in der Campagne von 1690.