<139>affaiblit le victorieux et énerve l'État. Il ne faut donc jamais en venir à des hostilités, à moins que d'avoir les plus belles apparences à faire des conquêtes, ce qui d'abord détermine l'état de la guerre et la rend offensive. Mais comme dans toutes nos guerres l'Europe se divise en deux grandes factions, il en résulte un certain équilibre de forces qui fait que, après bien des succès, on n'est guère avancé lorsque la paix générale se fait; de plus, lorsqu'on est obligé de diviser ses forces pour faire front de tous les côtés où l'on a des ennemis, il n'y a guère de puissance en état de subvenir aux frais énormes qu'exigent trois ou plus d'armées qui doivent toutes agir offensivement, ce qui fait que dans peu les efforts ne se font que d'un côté, tandis que les autres armées coulent des campagnes infructueuses et oisives.

Si l'on veut se promettre de grands avantages, il ne faut s'attacher qu'à un ennemi, et faire tous ses efforts contre lui; alors on doit se promettre les plus grands succès. Mais les conjonctures ne permettent pas de faire tout ce que l'on voudrait, et souvent on se voit obligé à prendre des mesures que la nécessité vous impose. Les plus grands défauts des projets de campagne sont ceux qui vous obligent à faire des pointes;a j'appelle pointes des corps d'armée qu'on aventure trop loin de ses frontières, et qui ne sont soutenus par rien. Cette méthode est si mauvaise, que tous ceux qui l'ont suivie s'en sont mal trouvés. Il faut donc commencer par agir dans le grand comme on le fait dans le petit. Dans un siége, personne ne s'avise de commencer par la troisième parallèle, mais par la première; on marque le dépôt des vivres, et tous les travaux que l'on pousse en avant doivent être soutenus par ceux de derrière; de même, dans les batailles, les seules dispositions bonnes sont celles qui se soutiennent mutuellement, où aucun corps n'est hasardé tout seul, mais sans cesse soutenu par d'autres. Il faut de même traiter la guerre en grand; si vous trouvez un pays où il y a des montagnes, faites de ces


a Voyez t. III, p. 65 et 98; t. VII, p. 91; t. XVII, p. 342; t. XIX, p. 82; ci-dessus, p. 9.