4. DU MÊME.

Paris, 31 décembre 1765.



Sire,

La lettre que Votre Majesté m'a fait l'honneur de m'écrire,3_337-b quoique pleine de bonté et d'intérêt, m'a mis dans une situation affligeante : elle m'a fait craindre d'avoir perdu, au moins à quelques égards, l'estime de V. M., le bien le plus précieux à mon cœur, et le seul qui mette quelque consolation dans ma vie. V. M. sait que depuis plus de deux ans ma santé a souffert des dérangements considérables; ils ont abouti à une maladie qui m'a mis aux portes du tombeau, et dont j'ai bien de la peine à me rétablir. Est-il surprenant, Sire, que cette situation me fasse regarder la vie avec indifférence? et V. M. peut-elle croire que ma maladie et ma disposition actuelle soient la suite du refus qu'on m'a fait d'une misérable pension, si modique qu'elle ne suffit pas même à de nouvelles charges que le devoir et l'humanité m'imposent? Il est vrai, Sire, que j'ai été quelque temps<338> blessé de ce refus, parce que je demandais justice et non grâce, et que jamais on n'avait fait un pareil outrage à aucun de mes confrères dans les mêmes circonstances; mais mon amour-propre a eu bientôt lieu de se consoler par les cris que ce refus a excités dans toute l'Europe littéraire, et qui ont enfin forcé le ministre à cesser d'être absurde et injuste. Ce qu'il y a de certain, Sire, c'est que depuis qu'on a enfin jugé à propos de me donner cette pension, ma santé n'en est pas meilleure, et qu'ainsi le dérangement de ma frêle machine tient apparemment à d'autres causes. Elle succomberait tout à fait, si je croyais avoir perdu quelque chose dans l'opinion de V. M., si elle n'était pas persuadée que le désintéressement qu'elle m'a connu est toujours le même, et qu'il n'y a rien que je ne sois prêt à faire pour l'en convaincre.

Recevez, Sire, avec votre bonté ordinaire, mes très-humbles compliments sur la perte récente que V. M. a faite,3_338-a et mes vœux sincères pour la durée et le bonheur de ses jours. C'est avec ces sentiments et avec le plus profond respect que je serai toute ma vie. Sire, etc.

Je prends la liberté, Sire, de demander à V. M. ses bontés pour M. Candi,3_338-b qui lui est adressé par M. Helvétius, et qui doit lui être présenté incessamment.


3_337-b Lettre du 23 novembre, t. XXIV, p. 443 et 444.

3_338-a Voyez t. XXVI, p. 630, 631 et 632.

3_338-b L'un des cinq Français mis par le Roi, en 1766, à la tête de la régie dont il parle t. VI, p. 85, et t. XIX, p. 446 et 447. M. Candi fut tué en duel, au mois de décembre de la même année, par M. de Lattre, un de ses collègues.