<304> la conscience si nette, que je ne crains point de penser tout haut et de montrer à découvert les ressorts les plus cachés de mon âme.

Tout le monde sait que les troubles qui déchirent l'Europe ont pris leur naissance en Amérique, et que la pêche de la merluche en contention entre les Anglais et les Français, avec quelques terres incultes du Canada, ont donné lieu à la guerre cruelle qui afflige notre continent.a Cette guerre était si éloignée des possessions des princes de l'Allemagne, que l'on a de la difficulté à comprendre comment cet embrasement a passé d'une partie du monde à une autre qui semble n'y être aucunement liée. A présent, grâce à la politique de notre siècle, il n'y a aucune dissension dans le monde, aussi petite qu'elle soit, qui ne puisse gagner et brouiller en peu de temps toute la chrétienté.

Mais il n'est pas question ici de traiter des propositions générales ou de se répandre en vaines déclamations; il faut en venir au fait et entrer en matière. L'année 1755, la Prusse se trouvait alliée de la France et de la Suède. La reine de Hongrie, qui avait sans cesse en vue le recouvrement de la Silésie, à laquelle elle avait renoncé par deux traités formels, la reine de Hongrie, dis-je, remuait toute l'Europe contre nous. Elle était en alliance avec l'Angleterre et la Russie; à force de guinées anglaises elle avait porté les Moscovites à faire tous les ans des ostentationsb sur les frontières de la Livonie et de la Courlande. Le roi de Pologne, comme électeur de Saxe, s'était si fort attaché à la fortune de la maison d'Autriche, son animosité contre la Prusse était si connue, que l'on ne pouvait s'attendre de sa part qu'à des coups de trahison, c'est-à-dire qu'il ne serait pas des premiers à se déclarer contre nous, mais qu'il profiterait du premier malheur pour nous accabler, à quoi la situation de son pays lui donnait toutes


a Voyez t. IV, p. 12 et suivantes; t. VI, p. 10; et t. XVIII, p. 127.

b Frédéric emploie ici ce mot au lieu de démonstration, comme il le fait souvent dans son Histoire de la guerre de sept ans, par exemple t. IV, p. 21. Voyez aussi t. XIX, p. 127, no 96.