<302>Si mon armée se trouvait aussi nombreuse quelle l'était au commencement du printemps, je pourrais avec peine faire face à la plupart de mes ennemis. A présent, je ne puis former qu'une armée et m'opposer avec elle à l'ennemi le plus dangereux.a Si je balance à chasser les Autrichiens de la Lusace, ils enverront de gros détachements dans l'Électorat, et y mettront tout à feu et à sang; si j'attaque les Autrichiens, et que je perde la bataille, j'accélère ma perte d'un mois; mais si j'ai encore assez de fortune pour les battre, je puis nettoyer la Lusace, y laisser un corps sur la défensive, détacher vers la Silésie, marcher vers le pays de Halberstadt pour m'opposer aux Français, et gagner du temps.b C'est donc, dans cette fâcheuse situation,c le parti le plus sûr, le plus généreux et le plus honorable.

Je me suis cru obligé de rendre compte à l'État et à la postérité de ma situation et des raisons qui m'ont fait prendre un parti plutôt qu'un autre, afin que l'on ne pût flétrir ma mémoire par des accusations injustes. Je ne doute pas qu'il n'y ait eu dans le monde de beaucoup plus habiles gens que moi; je suis très-convaincu que je suis très-éloigné de la perfection. Mais s'il s'agit d'amour de la patrie et de zèle pour sa conservation et sa gloire, je le dispute à toute la terre, et je conserverai ces sentiments jusqu'au dernier soupir de ma vie.

Federic.


a Voyez, t. IV, p. 154.

b Voyez t. XXVI, p. 260; t. XXVII. I, p. 3; et ci-dessus, p. 227.

c Le 24 septembre 1757, Frédéric envoya du camp de Kerpsleben, près d'Erfurt, au ministre d'État comte de Finckenstein l'ordre de transporter à Magdebourg, au besoin, le trésor, les caisses et les services d'or et d'argent. Voyez, sur l'ensemble de la situation, t. XXVII. I, p. 331 et suivantes. Il est parlé ci-dessus, p. 147 et 148, note b, d'un cas analogue qui s'était présenté en 1745.