<431>

VI. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC SA SŒUR AMÉLIE, ABBESSE DE QUEDLINBOURG. (24 AVRIL 1738 - 9 AOUT 1775.)[Titelblatt]

<432><433>

1. DE LA PRINCESSE AMÉLIE.

Potsdam, 24 avril 1738.



Mon très-cher frère,

Le reproche que vous avez eu la bonté de me faire à l'égard de ma paresse aurait été plus tôt exécuté, si je n'avais craint, mon cher frère, que ce pot pourri ne vous eût incommodé. Je vois bien, mon cher frère, que votre âme, qui est si guerrière, vous a fait oublier la musique, et le tact, et la cantate que vous m'avez fait l'honneur de me promettre. Je vous assure, mon cher frère, que je me donne toutes les peines du monde pour bien savoir ce que vous m'avez appris; mais mon gosier a été si impertinent, que je n'ai pas pu chanter; sans cela, vous pouvez être persuadé, mon cher frère, que je ne ferais que toute ma vie chanter vos louanges, étant,

Mon très-cher frère,

Votre très-humble et très-soumise
sœur et servante,
Amélie.

2. DES PRINCESSES AMÉLIE ET ULRIQUE.

Le 1er mars 1743.



Mon très-cher frère,

Je ne sais si ce n'est pas trop hardi d'importuner Votre Majesté sur des affaires particulières; mais la grande confiance que nous avons,<434> ma sœur et moi, en ses bontés nous encourage à lui faire un aveu sincère sur l'état de nos petites finances, qui se trouvent fort dérangées, les revenus ayant été pendant deux ans et demi assez médiocres, ne consistant que de quatre cents écus par an, ce qui ne suffisait pas pour toutes les petites dépenses que l'ajustement des dames exige; ce qui, accompagné du jeu, quoique petit, dont nous ne nous pouvons dispenser, nous a entraînées à faire des dettes. Les miennes consistent en quinze cents écus, et celles de ma sœur dix-huit cents. Nous n'en avons pas parlé à la Reine-mère, quoique nous soyons fort persuadées qu'elle aurait tâché de nous aider; mais comme cela ne se serait point fait sans l'incommoder, et qu'elle se serait retranché de ses menus plaisirs, j'ai cru que nous ferions mieux de nous adresser à V. M., étant persuadées qu'elle nous aurait su mauvais gré si nous avions privé la Reine du moindre agrément, d'autant plus que nous vous regardons, mon cher frère, comme le père de la famille, et que nous espérons que vous aurez la grâce de nous aider. Nous n'oublierons jamais les bienfaits de V. M., et la supplions de vouloir être persuadée du parfait et tendre attachement avec lequel nous nous faisons gloire d'être toute notre vie

de Votre Majesté
les très-humbles et très-obéissantes
sœurs et servantes,
Louise-Ulrique.
Anne-Amélie.

P. S. Je supplie très-humblement V. M. de n'en point parler à la Reine-mère, puisqu'elle n'approuverait peut-être pas la démarche que nous venons de faire.1_434-a

<435>

3. DE LA PRINCESSE AMÉLIE.

Berlin, 27 mars 1745.



Mon très-cher frère,

Je ne saurais m'abstenir plus longtemps du plaisir que j'ai de vous faire ma cour. Mon devoir, mon penchant et mon inclination, tous trois de concert, n'ont pu souffrir ce silence. Il a été terrible pour moi, surtout puisque c'est la seule consolation qui me reste que d'avoir l'honneur de me mettre à vos pieds par des lettres. La santé de la Reine notre incomparable mère est parfaite; la saignée lui a fait un bien infini. Une légère indigestion de la princesse fut cause qu'elle alla dernièrement chez elle pour la voir, et comme il faisait assez beau, elle eut envie de faire un tour sous les Arbres. Tout étant prêt, la Reine voulut se mettre en carrosse; mais lorsqu'elle le vit, elle fut fort étonnée de la magnificence des harnais et du bon goût qui règne dans tout l'équipage. La Reine demanda à M. de Wülknitz d'où cela venait qu'il était si leste, et qu'elle ne l'avait point commandé de cette façon. Alors le comte et moi, nous prîmes la liberté de lui dire qu'elle n'avait qu'un fils qui pût avoir de telles attentions pour elle. A présent, mon très-cher frère, il me faudrait une éloquence bien rapide pour vous exprimer la joie que la Reine a eue; la mienne ne saurait suffire, puisqu'elle me fait souvent faux bond. J'ai eu l'honneur, ce matin, de lui remettre la lettre accompagnée du présent pour son jour de naissance. Il n'y a qu'elle au monde qui puisse trouver des expressions assez vives pour vous montrer sa tendresse, et comme vous connaissez ces sentiments qu'elle a pour vous, vous pouvez être persuadé que cela lui a fait un sensible plaisir. Je m'aperçois que j'abuse de vos bontés envers moi; ainsi je vous supplie, mon<436> très-cher frère, d'être assuré qu'il n'y a personne qui vous soit plus dévoué et plus sincèrement attaché que je le suis, etc.

4. DE LA MÊME.

Le 7 mars 1756.



Mon très-cher frère,

En considération des bontés que vous me témoignez, je ne puis vous regarder que comme un père qui s'intéresse à l'établissement et au bien-être de ses enfants. Ce nom de père que je ne puis prononcer sans ressentir tout le respect, toute l'amitié et toute la vénération qui lui est due, ce nom si cher qui revit en vous, m'encourage à la confiance. Je vais, mon cher frère, vous exposer l'état de ma situation. Vous voulez que je parle, je suis soumise à vos volontés; nommez-moi le jour, je m'empresserai à vous obéir. Mais, faut-il vous l'avouer? je n'ai pas la valeur d'un écu pour faire le voyage, et sans un dérangement total, il n'est presque pas possible que je le puisse entreprendre. Tout l'argent que j'ai reçu de l'abbaye, je l'ai employé à m'équiper, lit, coffres, livrées et autres choses nécessaires qui me manquaient. Vos soins généreux se sont étendus à m'accorder les chevaux, la cuisine, la vaisselle, le linge pour la table, et à vous charger des présents que je suis obligée de donner le jour de ma réception. J'en suis pénétrée de la plus vive reconnaissance; mais daignez encore, en père tendre et compatissant, me donner de quoi subvenir aux autres dépenses qui me restent à faire. Je n'espère qu'en vos bontés, j'y fonde tout mon espoir. J'ai reçu tant de marques de votre bienveillance, qu'il serait honteux si j'eusse le moindre doute qu'elles viendraient me manquer dans une occasion qui doit décider du reste<437> de mes jours. Non, mon cher frère, tout en moi n'est que confiance, respect, tendresse et soumission. J'ai l'honneur d'être, etc.

5. A LA PRINCESSE AMÉLIE.

Potsdam, dimanche 11 avril 1756.



Ma chère sœur,

Je reçois la lettre que vous avez eu la bonté de m'écrire de Brandebourg, et je crois comme vous, ma chère sœur, que votre contenance en carrosse a été opérée par un miracle de votre futur. Contenir un derrière pressé par des anxiétés de choux est un miracle digne du fils d'un charpentier, et je vous en félicite, quoique moins que du jour fameux, du jour admirable, du grand jour d'aujourd'hui, qui va vous unir avec la Divinité. Je tremble que votre surintendant ne compare votre entrée dans l'abbaye avec celle de votre céleste époux à Jérusalem, et qu'il n'en vienne jusqu'aux montures. J'espère que vous l'aurez stylé d'avance, et que vous lui aurez défendu toute comparaison. Si dans votre céleste gloire vous daignez vous souvenir encore de ceux que vous avez honorés de vos bontés dans ce monde, je vous supplie de jeter un regard favorable du haut de l'Empyrée sur votre fidèle vassal, qui est et sera toute sa vie,



Ma très-chère sœur,

de Votre Divinité
le très-humble serviteur, frère et vassal,
Federic.

<438>

6. A LA MÊME.

Lockwitz, 25 mars 1757.



Ma très-chère sœur,

Je vous rends mille grâces des notices que vous m'avez procurées de la maladie de notre chère mère par Eller.1_438-a Cela m'a beaucoup tranquillisé, et me rassure contre un malheur que j'aurais regardé comme très-grand pour moi.

Pour ce qui nous regarde, ma chère sœur, ainsi que notre situation politique et militaire, il n'y a rien de changé jusqu'au moment présent; tout est de même, à l'exception que nous sommes entrés en quartiers de cantonnement, et que l'ennemi commence aussi à s'assembler et se fortifier. Mettez-vous, je vous en conjure, au-dessus de tous les événements; pensez à la patrie, et souvenez-vous que notre premier devoir est de la défendre. Si vous apprenez qu'il arrive malheur à quelqu'un de nous autres, demandez s'il est mort en combattant, et si cela est, rendez grâce à Dieu. Il n'y a que la mort ou la victoire pour nous; il faut ou l'un, ou l'autre. Tout le monde pense ici comme cela. Quoi! vous voudriez que tout le monde sacrifiât sa vie pour l'Etat, et vous ne voudriez pas que vos frères en donnassent l'exemple! Ah! ma chère sœur, dans ce moment-ci, il n'y a rien à ménager. Ou au comble de la gloire, ou détruits. Cette campagne prochaine est comme celle de Pharsale pour les Romains, ou comme celle de Leuctres pour les Grecs, ou comme celle de Denain pour les Français, ou comme le siége de Vienne pour les Autrichiens. Ce sont des époques qui décident de tout, et qui changent la face de l'Europe. Avant leur décision, il y a un affreux hasard à courir; mais après leur dénoûment, le ciel s'éclaircit et devient serein. Voilà notre situation. Il ne faut désespérer de rien, mais prévoir<439> tout événement, et recevoir ce que le destin voudra nous départir avec un visage égal, sans orgueil des bons succès, et sans que les mauvais nous avilissent.

Adieu, ma chère sœur. Voilà une épître bien remplie de morale. Si mes dictons vous ennuient, vous n'avez qu'à ne pas lire mes lettres. Soyez toutefois persuadée de l'amitié tendre avec laquelle je suis à jamais, etc.

7. A LA PRINCESSE AMÉLIE ET A LA DUCHESSE CHARLOTTE DE BRUNSWIC.

(Camp de Prague) ce 11 (mai 1757).



Mes chères sœurs,

J'ai reçu vos lettres dans la plus violente crise, ce qui m'a empêché de vous répondre plus tôt. Je vous écris à toutes les deux, n'ayant pas le temps de faire plus d'une lettre. Nous avons à présent ébauché ici l'ouvrage; il faudra encore quelques petits coups de cognée pour l'achever. Mon frère Henri a fait des merveilles, et s'est distingué au delà de ce que je puis en dire; mes deux autres frères n'ont pas du tout été dans la bataille; ils se sont trouvés dans l'armée du maréchal Keith. Nous avons perdu le digne maréchal Schwerin et bien des braves officiers. J'ai perdu des amis que je regretterai toute ma vie; enfin, mes chères sœurs, si le bonheur nous favorise à présent, nous aurons gain de cause. Toute la généralité, et, selon le dire des déserteurs, soixante mille hommes sont enfermés à Prague; j'entreprends de les réduire à se rendre prisonniers de guerre. C'est une terrible entreprise; il faut du bonheur pour y réussir. Ma chère<440> Lottine, duchesse de Brunswic, et vous, ma chère sœur l'abbesse, je vous embrasse toutes les deux de tout mon cœur.

Voilà une lettre pour notre chère mère.1_440-a

8. DE LA PRINCESSE AMÉLIE.

Monbijou, 16 mai 1757.



Mon très-cher frère,

Nous avons eu une forte dispute, ma sœur et moi, par rapport à la lettre que vous nous avez fait l'honneur d'écrire en commun; mais j'ai remporté la victoire. Jamais Prussien, lui ai-je dit, n'a encore rien cédé à aucun étranger, et vous prétendez que je sois la première! Non, cette lettre ne sortira pas de mes mains. Je les tenais aussi ferme qu'un oiseau qui tient sa proie, et se fût-elle mise à genoux, elle ne l'aurait pas obtenue, à moins de me l'arracher par force. Elle crut alors qu'il fallait changer de ton, et commença par vouloir m'attendrir en me parlant de son départ, qui est fixé à demain; mais je reconnus ses ruses, je demeurai inflexible, et le serai toujours en pareil cas.

Les éloges que vous accordez à mon frère Henri sont pour lui des trophées de victoire; je suis charmée qu'il se soit distingué, mais je plains mes deux autres frères de s'être trouvés dans l'armée du maréchal Keith. Campés sur la Montagne Blanche,1_440-b ils ont vu de loin toute l'action; chaque coup qu'ils entendaient devait les faire trem<441>bler; la vie de leur roi, de leur frère et, si j'ose le dire, de leur ami, était en danger sans qu'ils osassent le secourir, situation affreuse pour un chacun, mais bien plus cruelle encore pour des frères qui s'aiment. Cette journée, quelque glorieuse qu'elle ait été pour l'armée, pour la maison et pour toute la patrie, cette journée, mon cher frère, malgré tous ces avantages, vous coûte des regrets. Rien de plus grand que les termes touchants dont vous vous servez en parlant de ceux qui sont morts en combattant. Je les regretterai, dites-vous, toute ma vie; paroles qui mériteraient d'être gravées et conservées à jamais à la postérité. Qu'on soit, après cela, surpris du courage et de la valeur de vos troupes! Je suis persuadée qu'il n'y en a pas un seul qui ne souhaiterait se retrouver dans le cas de verser tout son sang pour l'amour de vous. Le siége de Prague nous cause encore bien des inquiétudes; je crains que les Autrichiens ne soient résolus de s'ensevelir dans les murs de la ville, ce qui coûtera encore bien du monde; cependant j'espère qu'ils ne pousseront pas les choses à l'extrémité, et qu'ils se rendront docilement comme prisonniers de guerre. On dit qu'il y a tout un nid de princes qui s'y est retiré avec les fuyards. Si les triomphes étaient encore en usage! Mais cette cérémonie ne vous plairait pas; vous vous contentez de triompher sur les cœurs de vos sujets et de vos peuples, et ce triomphe sera éternel pour vous.

J'ai l'honneur d'être avec le plus tendre attachement, etc.

<442>

9. A LA PRINCESSE AMÉLIE.

Camp de Prague, 24 mai 1757.



Ma très-chère sœur,

Je n'ai encore que de bonnes nouvelles à vous donner. Un partisan de mes troupes1_442-a après avoir pris le magasin de Pilsen, est marché dans le Haut-Palatinat, ce qui a donné une telle peur à l'électeur de Bavière, qu'il m'a envoyé ici un colonel pour me déclarer qu'il renonce à tous les engagements qu'il a pris avec mes ennemis, et qu'il observera la plus exacte neutralité. Le prince de Bevern a pris trois magasins à Léopold Daun : celui de Nimbourg, de Kolin, et de Suchdol. Cette nuit, les Autrichiens ont fait une sortie sur le maréchal Keith; ils ont été pour le moins seize mille hommes. Mes frères les ont repoussés. L'ennemi y a perdu au delà de mille hommes; nous, très-peu de chose. Mon frère Ferdinand y a eu un cheval de tué et une égratignure à la joue; mais cela ne l'empêche pas d'être sur pied. Cachez cette dernière circonstance à la Reine. Voilà, ma chère sœur, où nous en sommes. Mon attirail infernal n'arrivera ici que dans trois jours, et nous ne pourrons commencer à donner la foudroyante musique que vers le 27.

Je vous embrasse de tout mon cœur, et vous recommande cette lettre pour la Reine notre chère mère. Adieu.

<443>

10. DE LA PRINCESSE AMÉLIE.

Le 2 juin 1757.



Mon très-cher frère,

Je me trouve encore de nouveau dans la triste situation d'augmenter vos inquiétudes. La faiblesse de la Reine va toujours en empirant; elle a tous les soirs une petite fièvre; la nuit passée, elle a eu des transports au cerveau, et n'a pas discontinué de parler jusqu'au matin. J'ai déjà eu l'honneur de vous mander l'enflure de ses jambes; le corps commence aussi à se grossir, et même beaucoup, ce qui fait craindre l'hydropisie. Ses forces diminuent, pour ainsi dire, à vue d'œil, et tout l'état de sa santé menace ruine. Nous ne pouvons plus nous flatter, mon cher frère, de la conserver. Préparez-vous, de grâce, à ce coup affreux; il viendra plus tôt qu'on ne le pense; c'est un malheur inévitable, et qui s'avance à grands pas. J'ai tâché de me faire illusion, et cela, pendant longtemps; mais à présent j'ai perdu toute espérance, et tous ceux qui la voient et qui l'entourent sont dans le même cas. Je suis au désespoir, mon cher frère, de vous écrire une pareille nouvelle; j'en ai le cœur serré, mais j'y suis forcée. Daignez me continuer l'honneur de votre souvenir, c'est la seule consolation qui me reste, et soyez persuadé de l'attachement et du respect le plus soumis avec lequel je ne cesserai d'être, mon très-cher frère, etc.

<444>

11. DE LA MÊME.

Mardi, 28 juin 1757.



Mon très-cher frère,

Je suis au désespoir de vous écrire que nous n'avons plus de mère. La Reine vient d'expirer. Hier au soir, se sentant au plus faible, elle m'ordonna de vous remercier de toute l'amitié que vous lui aviez témoignée; qu'elle mourrait reconnaissante, et qu'elle emporterait sa tendresse pour vous jusqu'au tombeau. Elle me dit encore qu'elle espérait que vous lui conserveriez cette amitié jusqu'après sa mort, en prenant soin de sa cour et de ses domestiques; qu'elle mourrait avec cette confiance que vous ne les abandonneriez point.1_444-a Je fus obligée de lui promettre que je vous l'écrirais sur-le-champ. Il m'est impossible de vous en dire davantage; saisie et altérée comme je le suis, il m'est presque impossible de tenir la plume. J'écrirai demain toutes les circonstances, et me recommande à l'honneur de votre gracieuse protection, mon très-cher frère, etc.

12. A LA PRINCESSE AMÉLIE.

Leitmeritz, 1er juillet 1757.



Ma chère sœur,

Tous les malheurs m'accablent à la fois. O ma chère mère! ô bon Dieu, je n'aurai plus la consolation de vous voir! O Dieu, ô Dieu, quelle fatalité pour moi! Je suis plus mort que vif. J'ai reçu une<445> lettre de la reine régnante, qui me marque tout cela. Peut-être le ciel a-t-il retiré notre chère mère pour qu'elle ne vît pas les malheurs de notre maison. Ma chère sœur, je suis incapable de vous en dire davantage.

Je vous embrasse de tout mon cœur.

13. A LA MÊME.

Rötha, à deux milles de Leipzig, 6 septembre 1757.



Ma chère sœur,

Vous devriez sans doute être étonnée de me voir faire le métier de chevalier errant, si vous ne saviez pas les raisons et les malheurs qui m'y obligent. J'ai voulu attaquer l'armée autrichienne à Zittau; mais l'impossibilité en était si visible, que, sans vouloir exposer l'armée à une boucherie inutile, je ne pouvais pas l'entreprendre. De là je suis venu errer ici, où je trouve une armée en front, et un corps de trois mille Français à Halberstadt. Après de mûres réflexions, j'ai pris le parti de marcher à l'armée d'Erfurt, sûr que, après les avoir vaincus, je chasserais bientôt Fischer1_445-a et son parti du pays de Halberstadt. Voilà, ma chère sœur, où nous en sommes. Je vous prie, ne faites pas tant de vœux pour mon existence. Les morts ne sont pas tant à plaindre que les malheureux. Je marche demain, et je crois de me trouver le 12 ou le 13 en présence de mes nouveaux ennemis. Soyez persuadée que je n'épargnerai rien pour vaincre ou mourir. Voilà tout ce que je puis vous dire, vous assurant de la tendresse infinie avec laquelle je suis, ma chère sœur, etc.<446> Je vous envoie une élégie que j'ai faite dans le tumulte de nos camps, adressée à ma sœur de Baireuth.1_446-a

14. A LA MÊME.

Erfurt, 27 septembre 1757.



Ma chère sœur,

Nos affaires en sont encore sur le pied que je vous l'ai écrit dernièrement. Je fais comme ces gens accablés de mouches, qui les chassent de leur visage; mais quand l'une s'envole de la joue, une autre vient se mettre sur le nez, et à peine s'en est-on défait, qu'une nouvelle volée se place sur le front, sur les yeux, et partout. Enfin cet ouvrage durera, je crois, jusqu'à ce que le grand froid engourdisse cet essaim insupportable. Souvent je voudrais m'enivrer pour noyer le chagrin; mais comme je ne saurais boire, rien ne me dissipe que de faire des vers, et tant que la distraction dure, je ne sens pas mes malheurs. Cela m'a renouvelé le goût pour la poésie, et quelque mauvais que soient mes vers, ils me rendent, dans ma triste situation, le plus grand service. J'en ai fait pour vous, ma chère sœur, et je vous les envoie, pour que vous voyiez que la tristesse même ne m'empêche pas d'avoir l'esprit rempli de votre souvenir.

Vous souffrez donc aussi de nos cruelles guerres,
Et le Français fougueux, insolent et pillard,

<447>

Conduit par un obscur César,
A, dit-on, ravagé vos terres;
Tandis que sans raison, guidé par le hasard.
Un ennemi cent fois plus dur et plus barbare,
Par la flamme et le fer signalant ses exploits,
Par le Cosaque et le Tartare,
A réduit la Prusse aux abois.
Mais écartons de la mémoire
Des sources de douleur qu'on ne peut épuiser;
Nous rappeler toujours notre funeste histoire
Serait aigrir des maux que l'on doit apaiser.
Moi, dont les blessures ouvertes
Saignent encor de tant de pertes,
Et proche des bords du tombeau,
Pourrais-je en rimes enfilées
Peindre, d'un languissant pinceau,
Dans l'ennui, dans le deuil tant d'heures écoulées,
Et de nos pertes signalées
Renouveler l'affreux tableau?
Lorsque de l'occident amenant les ténèbres,
Etendant sur l'azur des cieux
Les crêpes épaissis de ses voiles funèbres,
La nuit vient cacher à nos yeux
De l'astre des saisons le globe radieux,
Philomèle au fond d'un bocage
Ne fait plus retentir de son tendre ramage
Les échos des forêts alors silencieux;
Elle attend le moment que la brillante aurore,
Versant le nectar de ses pleurs,
Avec l'aube nous fasse éclore
Le jour, les plaisirs et les fleurs.
Ma sœur, en suivant son exemple,
Muet dans ma douleur, sensible à mes revers,
Laissant pendre mon luth, laissant dormir les vers,
J'attends que la Fortune, à la fin, de son temple
Me rende les sentiers ouverts.
Mais si je vois que la cruelle
D'un caprice obstiné me demeure infidèle,

<448>

Du fond de ses tombeaux et des urnes des morts
Je n'entraînerai point la plaintive élégie
Dont l'artifice et la magie
Nous endort sur les sombres bords.
Ah! plutôt sur le ton de la vive allégresse
J'aimerais à monter mon luth,
Suivre des Ris la douce ivresse,
Aux Plaisirs payer mon tribut.
Qui se trouve au milieu des fleurs à peine écloses,
L'air plein de leurs parfums, et l'œil de leurs attraits.
Cueille l'œillet, les lis, les jasmins et les roses.
En se détournant des cyprès.
Tandis que ces riants objets
A moi se présentent en foule,
Emporté d'un rapide cours,
Le temps s'enfuit, l'heure s'écoule.
Et m'approche déjà de la fin de mes jours.
Pourrai-je encor sur le Parnasse.
Me traînant sur les pas d'Horace,
Monter, en étalant mes cheveux blanchissants.
Quand neuf lustres complets dont me chargent les ans
Me montrent la frivole audace
D'efforts désormais impuissants?
Les Muses, on le sait, choisissent leurs amants
Dans l'âge de la bagatelle;
Hélas! j'ai passé ce bon temps.
Si pourtant, m'honorant d'une faveur nouvelle,
Calliope daignait, en réchauffant mes sens,
M'inspirer par bonté des sons encor touchants,
Rempli des feux de l'immortelle,
Croyant mes beaux jours renaissants.
Je chanterais vos agréments,
Votre amitié tendre et fidèle,
Vos grâces, vos divers talents;
Par les accords de l'harmonie,
De l'émule de Polymnie
Je pourrais attirer les regards indulgents.
Trop promptement, hélas! de cet aimable songe

<449>

Se dissipe l'illusion;
Déjà le réveil me replonge
Dans la sombre réflexion.
Qu'importe qu'une muse folle
M'égare par sa légèreté?
Heureux quand l'erreur nous console
Des ennuis de la vérité!1_449-a

Je suis avec une parfaite tendresse, ma très-chère sœur, etc.

15. A LA MÊME.

Buttelstedt, 6 octobre 1757.

Hélas! ma chère sœur, le charme des vers ne me fait illusion que pendant un moment; la vérité me replonge bientôt dans l'accablement. Ce qui me désole, c'est que je ne puis rien faire. Quand j'avance, l'ennemi fuit; lorsque je me retire, il me suit, mais toujours hors de ma portée. Si je pars d'ici, et que j'aille chercher ce superbe Richelieu aux environs de Halberstadt, il fera la même chose, et ces ennemis-ci, à présent tranquilles comme la statue de pierre, s'animeront bientôt, et me recogneront aux environs de Magdebourg. Si je me tourne du côté de la Lusace, alors ils me prennent mes magasins de Leipzig et de Torgau, et vont droit à Berlin. Enfin, ma chère sœur, je suis au désespoir. Je ne vous expose pas la centième partie de mes peines; mais certainement, lorsque Didon se brûla, elle ne fut pas plus malheureuse, dans Virgile et dans la Fable, que je le suis réellement.

<450>

Hélas! croyez-vous que les Grâces
Favorisent les malheureux?
Les fleurs qui croissent sur leurs trace
Naissent au doux éclat des astres lumineux.
Ces Grâces, ainsi que les Muses,
Et le peuple, et les courtisans,
Ont mêmes maximes infuses;
Ils se détournent tous des grands,
Sitôt qu'une main importune
Leur arrache de la fortune
Les bienfaits pleins de faux brillants.

Mon cœur souffre d'affreux supplices;
Toujours entre des précipices
Où je suis près de m'abîmer,
Au lieu que du Parnasse une flamme céleste
Descende encor pour m'animer,
Hélas! chère sœur, il me reste,
Dans l'horreur de ce temps funeste,
Mes seules larmes pour rimer.

Nous en sommes à présent aux épreuves de la constance; les expériences ne pourront plus être longues, car cela doit finir dans peu, d'une ou d'autre manière. Enfin, ma chère sœur, je crains de vous ennuyer par une suite d'images fâcheuses que je ne saurais m'empêcher de vous présenter, si je continuais d'écrire; j'abandonne plutôt la plume, et je me resserre dans les assurances de la tendresse parfaite et constante avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

<451>

16. DE LA PRINCESSE AMÉLIE.

Oranienbourg. 12 juin 1758. à 31/2 heures du matin.



Mon très-cher frère,

d'en est fait, mon frère ne vit plus; la mort, l'affreuse mort vient de nous l'enlever. Un catarrhe suffocatif l'a arraché de ce monde. Je le pleure comme un frère, je le regrette comme un ami. La mort a été des plus douloureuses. Je ne l'ai pas quitté jusqu'au dernier moment. C'est tout ce que je puis vous dire dans un moment aussi cruel et sensible. J'ai l'honneur d'être, mon très-cher frère, etc.

17. DE LA MÊME.

Berlin, 27 juin 1758.



Mon très-cher frère,

Il paraît que rien n'intéresse autant que de savoir les dernières circonstances de la vie d'une personne que l'on a tendrement aimée, et de laquelle on pleure amèrement la perte. C'est pourquoi, mon cher frère, j'ai déjà eu l'honneur de vous prévenir dans une de mes lettres sur les détails que vous me demandez. Mais pour vous témoigner mon obéissance, je vous le redirai encore. Vingt-trois heures de souffrances ont mis mon frère au tombeau. Il a conservé toute sa présence d'esprit; il n'a perdu le sentiment qu'environ une demi-heure avant sa mort. Au plus fort de ses angoisses, prêt à suffoquer<452> à chaque instant, il ne fit pas la moindre plainte; son âme était tranquille au milieu de ses douleurs; résigné à la volonté de l'Être suprême, il invoquait ce Dieu qui seul pouvait le secourir. Le ministre, ayant fait la prière, lui fit plusieurs demandes auxquelles, ne pouvant déjà plus parler, il répondit par des signes et par des râlements affreux qui démontraient le contentement intérieur qu'il ressentait des consolations qu'il venait d'entendre. Enfin, ce frère à la place duquel j'aurais souhaité de mourir expira. Séparation cruelle! J'y fus présente, je le vis, et je l'ai perdu pour toujours. Peu avant de retomber malade, il avait ordonné qu'il voulait être ouvert, ce qui s'est fait le lendemain; les médecins1_452-a m'ont donné par écrit les raisons qu'ils supposent être la cause de sa mort. C'est le papier que j'ai l'honneur de vous envoyer. Je compte partir demain pour Schwedt, voir ma sœur, pleurer mes malheurs, et supplier le ciel d'arrêter sa colère. Oui, nous l'invoquons tous pour la conservation de vos jours; vivez, soyez heureux, mon cher frère, ne vous abandonnez pas trop à votre affliction, songez à votre santé, et. soyez persuadé du tendre attachement avec lequel j'ai l'honneur d'être, mon très-cher frère, etc.

<453>

18. A LA PRINCESSE AMÉLIE.

Hermsdorf, près de Polkwitz, 14 août 1758.



Ma très-chère sœur,

Je viens de recevoir votre belle lettre du 11 et celle du 12. J'avoue que je n'ai pas été dans un petit embarras pour vous. Quoi! un morceau aussi friand, disais-je, est-il fait pour des Kalmouks? Je vous demande pardon, mais je suis bien aise de vous savoir à Neustadt. Je ne sais, ma chère sœur, si les prophètes de Schwedt valent mieux que ceux de Berlin; mais ce qu'il y a de certain, c'est que, vers le 20, je serai à portée de me montrer aux oursomanes,1_453-a résolu de vaincre ou de périr.1_453-b Je ne crains certainement pas cette racaille, mais les rivières et marais derrière lesquels ils se peuvent cacher. Je ne sais à quoi aboutira ma marche; mais si nous pouvons joindre les barbares, vous pouvez compter que personne ne les épargnera, et certainement tout le monde pense sur ce sujet comme moi.

J'en viens à présent à votre seconde lettre, ma chère sœur, et j'ose vous dire que, en philosophie, je n'ai pas l'honneur de penser comme vous. Je sais fort bien supporter un chagrin personnel, mais je succombe aux calamités publiques, et l'esprit des grands hommes n'est pas le mien. S'ils sont faits pour supporter les revers, et que la Providence prenne plaisir à les charger, cela ne me regarde pas. Le bon Dieu, selon vous, joue le rôle d'un habile muletier, qui donne le fardeau le plus pesant à porter au plus grand âne. Soit donc âne de la Providence qui voudra; pour moi, je ne demande que l'honneur d'être sa bourrique. Je vous jure que j'en ai tout mon soûl, et que s'il dépendait de moi de me confiner dans une retraite ignorée du monde, je m'y rendrais aujourd'hui. Pardonnez, chère sœur, si je ne vous<454> en dis pas davantage; je suis comme une femme grosse qui approche de son terme; je sens les premières douleurs de l'enfantement, et je suis obligé de préparer tout pour des couches heureuses. Je vous embrasse de tout mon cœur, et vous prie de vous souvenir, mort ou vif, d'un frère qui vous aime.

P. S. Dans ce moment, on m'écrit de l'armée que le pauvre Ferdinand a pris une fièvre chaude.

19. A LA MÊME.

Schönberg (Schönfeld), 19 (septembre 1758).



Ma très-chère sœur,

Pardon si je me moque un peu de vos prophètes; en vérité, c'est ce que l'on peut faire de mieux. Voici bien des choses qu'ils n'ont pas prévues, et qui cependant sont très-vraies. Les Turcs vont se déclarer; ils feront sûrement la guerre à la Reine et à la Russie. Les derniers se retirent de la Nouvelle-Marche, et Daun n'entreprendra rien, car les nouvelles de Constantinople opèrent déjà. Cette campagne finira ici doucement, et la prise de Pirna en fera la clôture.

Cet oracle est plus sûr que celui de Calchas.1_454-a

Quand les Suédois seront partis, je vous supplierai de me donner des nouvelles du café; en revanche, je vous envoie de mauvais vers pour vous amuser un moment. Je commence à me tranquilliser; ce n'est pas encore un repos bien assuré, mais je suis dans la situation<455> de la mer après une forte tempête : les vagues sont encore émues, quoique les grands mouvements se soient calmés. J'ai trouvé mon frère Henri très-bien; je n'ai parlé d'aucune matière fâcheuse. Vous me comprenez. La plaie est trop nouvelle pour qu'on n'en réveille pas la douleur en y touchant.1_455-a Nous avons battu ici un certain Loudon, au nez de Fabius Maximus, qui, pour bien mériter ce titre, l'a laissé battre sans s'en embarrasser.1_455-b Voilà, direz-vous, un bel exploit! Que voulez-vous, ma chère sœur? c'est la farce après la tragédie. Je ne puis vous parler que d'événements. L'on s'en occupe toute la journée, et les choses qui frappent les sens y laissent plus d'impression que les réflexions. Je crains de ne vous avoir déjà que trop ennuyée. Daignez me le pardonner, et que l'amitié que vous me témoignez vous fasse supporter mon radotage en faveur des sentiments et de la tendresse avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

20. A LA MÊME.

Glogau, 3 novembre (1759).



Ma chère sœur,

Je me suis fait traîner ici pour reprendre quelque peu de forces.1_455-c La fièvre m'a abandonné, et je compte de me mettre le 7 en marche pour la Saxe. Ne craignez rien, ma chère sœur, pour ma personne. L'amour de la patrie et le zèle pour ses intérêts me feront tout soutenir. Je crois que la paix se fera cet hiver; il y a toute apparence, et ce sera un grand bien. J'espère, après tout ce que mon frère a fait,<456> que la paix sera bonne, et je lâcherai d'y contribuer de mon mieux. Vos prophètes soufflent le froid et le chaud; ils se tirent d'embarras par des estrapades, comme le font tous les imposteurs. Les barbares sont en Pologne, et Loudon me donne encore quelque occupation. Je lui oppose Fouqué, qui m'en tiendra compte. Enfin, après l'état désespéré où ont été nos affaires, nous revenons sur l'eau, et, malgré toute l'Europe liguée, nous nous retrouverons précisément dans l'état où nous avons été l'hiver passé; c'était tout ce que nous pouvions espérer. Ma faiblesse m'empêche de vous en dire davantage. J'ai encore peine à écrire, et il faut, malgré moi, me borner à vous assurer de la tendresse infinie avec laquelle je suis, ma chère sœur, etc.

21. A LA MÊME.

Strehlen, 3 mai (1761).



Ma chère sœur,

Votre lettre m'a servi de julep pour me fortifier contre les périls qui m'environnent. Je suis fâché de vous savoir la fièvre. Je me flatte que ce ne sera qu'une atteinte légère d'un mal passager, qui affermira votre santé. Demain nous passons l'Elbe et marchons pour Görlitz, où nous serons le 8, pour être le 13 vis-à-vis de Loudon, dans la Silésie. Veuille le ciel que notre âme exaltée ait découvert les événements futurs! Veuille le ciel que cette paix tant désirée arrive, quand ce ne serait qu'au beau milieu de l'été! Peut-être, ce mois, recevrai-je encore de vos nouvelles. Si les Russes s'en mêlent, notre correspondance sera interceptée dès le commencement de juillet. Dieu nous soit propice! J'ai pris congé de mon frère Henri; il<457> fait au delà de ce qu'il peut. Je puis dire que je l'aime véritablement, et que je lui sais gré de sa bonne volonté. Je me repose sur lui. Il a de l'esprit et de la capacité, deux choses bien rares à trouver, et très-recherchées dans les temps présents. Adieu, mon ange; pardonnez-moi si je ne vous écris pas mieux; mais je suis fatigué, et j'ai une grande besogne par devers moi. Recevez avec bonté les assurances de la tendresse avec laquelle je suis, ma chère sœur, etc.

22. A LA MÊME.

(Berlin, 19 décembre 1764.)



Ma chère sœur,

Voici une petite rosée pour une plante aride qui a toujours soif;1_457-a mais vous devez vous souvenir que votre divin époux fit plus de cas du sou de la veuve que des présents que d'autres offrirent avec ostentation. Je me flatte donc que vous vous contenterez de l'intention, de la bonne volonté du cœur qui vous est dévoué, et que vous accepterez bénévolement le sou de la veuve. Vous assurant, ma chère sœur, que je suis avec toute la tendresse imaginable, etc.

<458>

23. A LA MÊME.

(Berlin, 6 janvier 1765.)



Ma chère sœur,

J'accepte vos offres avec toute la reconnaissance possible. Je viens chez vous pour vous-même; vous prierez qui vous voudrez, et si vous voulez que je choisisse un jour, puisque cela vous est égal, vous voudrez bien que ce soit mardi. Vous assurant, ma chère sœur, de la tendresse et de tous les sentiments avec lesquels je suis, etc.

24. A LA MÊME.

(Berlin, 19 janvier 1765.)



Ma chère sœur,

Un qualité de votre maître d'hôtel, je prends la liberté de vous envoyer votre billet de cuisine pour ce soir, afin de savoir si vous en êtes contente. Le dessert et le vin, tout est également arrangé selon vos ordres. Je me recommande à vos bonnes grâces jusqu'à ce soir, que j'aurai l'honneur de vous faire ma cour.1_458-a

<459>

25. A LA MÊME.

(Berlin) ce 24 (janvier 1765).



Ma chère sœur,

Je vous rends mille grâces de la part que vous prenez à l'existence de mon individu. Je souhaiterais qu'il pût vous être de quelque utilité; mais un vieux frère qui prélude sur le radotage ne doit pas s'en flatter. Il m'arrive, ma chère sœur, la même chose qu'à votre vieil attelage. Il vous traînait autrefois; à présent il mange dans votre écurie du foin que votre compassion lui donne. Je viendrai demain au soir, si vous le permettez, vous remercier de votre gracieux souvenir, d'où j'irai chez mon frère Ferdinand, où je suis invité, boire à votre santé. Vous assurant de toute la tendresse avec laquelle je suis, ma très-chère sœur, etc.

26. A LA MÊME.

(Berlin, 31 décembre 1765.)

Aujourd'hui, l'almanach l'enseigne,
Le beau sexe établit son règne
Par l'empire des agréments.
Nul mortel ne s'en formalise,
Car vous régnez depuis longtemps
Et sur mon cœur, et dans l'Église.1_459-a

<460>

27. DE LA PRINCESSE AMÉLIE.

Berlin, 24 juin 1768.



Mon très-cher frère,

A peine de retour de votre voyage, vous daignez, mon cher frère, vous souvenir de moi en m'envoyant une caisse de fruits admirables. Agréez, je vous en supplie, mes très-humbles remercîments. Je fais mille vœux, mon cher frère, pour que les eaux minérales vous fassent tout le bien que vous en attendez. La joie de vous faire ma cour et de vous trouver bien portant, ce sera pour moi le comble du bonheur. Soyez-en convaincu, mon cher frère, ces sentiments partent d'un cœur qui vous est attaché jusqu'au trépas, et qui se fait gloire de vous être entièrement dévoué.

J'ai l'honneur d'être avec un profond respect, mon très-cher frère, etc.

28. DE LA MÊME.

Berlin, 16 juin 1769.



Mon très-cher frère,

Je viens de recevoir encore, mon cher frère, des marques de vos bontés et de votre gracieux souvenir, par un envoi de fruits admirables pour lesquels j'ai l'honneur de vous faire mes très-humbles<461> remercîments. J'ai entendu ces jours passés une opérette allemande; cela vous paraîtra nouveau, mon cher frère, mais la musique en est très-jolie, très-expressive et bien ouvragée. Les acteurs l'ont fort bien exécutée, avec tout autant d'action que les Français, et point dans le bas comique, lequel est d'ordinaire le cheval de bataille des Allemands. L'orchestre joue avec beaucoup de précision; ils ont quelques violons, appartenant à la troupe, qui ne sont pas mauvais. Enfin le tout ensemble faisait un spectacle assez amusant. Cependant je crois qu'il y faut aller rarement, pour ne pas s'émousser le goût.

Je crois, mon cher frère, que vous prenez actuellement les eaux; je fais mille vœux pour que cette cure vous fasse du bien, et qu'elle contribue à prolonger vos jours et vos années. Tout cela se peut, mon cher frère, si vous daignez vous ménager. Pardonnez-moi un excès de zèle en faveur de l'attachement le plus sincère et le plus tendre avec lequel j'ai l'honneur d'être, mon très-cher frère, etc.

29. DE LA MÊME.

Sans-Souci, 26 juillet 1769.



Mon très-cher frère,

D'où me viennent tant de bontés? Je sens, mon cher frère, que je ne les ai pas méritées. L'honneur, le plaisir et la joie de vous faire ma cour me suffisent pour me rendre heureuse et contente; je le suis de toute façon, mon cher frère, et le serai toujours, tant que je serai avec vous. Ce n'est pas, mon cher frère, que je ne ressente avec la plus vive reconnaissance le prix de votre générosité; tant de bienfaits ont lieu de me surprendre; mais, quels que soient les dons que<462> vous me fassiez, soyez convaincu, mon cher frère, que mon cœur n'est uniquement attaché qu'à votre personne, et que, tant que je vivrai, ma principale étude sera toujours celle de vous plaire. Souffrez que je vous le répète encore, et que je vous fasse mes très-humbles remercîments pour les six mille écus desquels vous avez daigné me gratifier. Oui, mon cher frère, rien n'égale ma reconnaissance, mon respect, ma tendresse et ma soumission.

J'ai l'honneur d'être, mon très-cher frère, etc.

30. DE LA MÊME.

Berlin, 1er août 1769.



Mon très-cher frère,

Daignez agréer mes très-humbles remercîments pour toutes les grâces et toutes les bontés dont vous m'avez honorée pendant le séjour heureux où j'ai eu le bonheur de vous faire ma cour. Je ne sens pour le présent, mon cher frère, qu'un mélange de regrets, de reconnaissance et de sensibilité, un souvenir charmant et agréable d un temps qui s'est envolé comme un éclair. Je me rappelle et me rappellerai, mon cher frère, ces moments avec délices; ils feront journellement mon occupation. Vous plaire et vous témoigner mon attachement a toujours fait mon étude particulière, et tant que je vivrai, je travaillerai, mon cher frère, à vous convaincre que mon cœur vous est tendrement dévoué et respectueusement soumis.

J'ai l'honneur d'être, mon très-cher frère, etc.

<463>

31. DE LA MÊME.

(Berlin) 29 septembre 1774.



Mon très-cher frère,

Je vous supplie, mon cher frère, d'agréer mes très-humbles remercîments pour les fruits délicieux que vous avez eu la grâce de m'envoyer. Je crains que le froid précoce fera beaucoup de tort au vin, ce qui causerait un grand dommage. Le schisme qui a régné ici durant plusieurs années entre les partisans de Muzell et de Meckel vient de cesser par la mort du dernier. Toutes les vieilles femmes en ont pleuré à chaudes larmes; elles en ont été imbues comme s'il eût fait des miracles. C'est ainsi que le préjugé, quelque peine que l'on se donne pour le déraciner, renaît toujours dans l'occasion. Je suis charmée, mon cher frère, quand je pense que vous goûtez à présent quelque repos, et que vous avez plus de loisir à vous distraire avec vos amis les livres, car le temps n'est guère propre à la promenade. En un mot, mon cher frère, je voudrais que vous jouissiez de tous les agréments de la vie en tout et partout, sans exception; c'est avec ce sentiment que j'ai l'honneur d'être avec un tendre et respectueux attachement, mon très-cher frère, etc.

32. DE LA MÊME.

Le 15 avril 1775.



Mon très-cher frère,

Vous avez bien de la bonté, mon cher frère, de prendre tant d'intérêt à ma santé; elle est toute rétablie, mais le médecin et le temps ne<464> veulent pas que je sorte. Je ne me rappelle pas que nous ayons eu un printemps si malfaisant et si désagréable depuis bien des années; mais il n'y a rien à faire, il faut le prendre comme il vient. J'ai fait ici, après bien des recherches, une découverte magnifique d'ancienne musique qui date du quinzième siècle;1_464-a c'est tout ce que l'on peut voir de plus savant, de plus touchant, de plus correct et de mieux exprimé. Je fais mes délices avec ces vieux bouquins à moitié usés par le temps. Mes heures s'écoulent dans les douceurs d'une harmonie céleste. Vous vous moquerez, mon cher frère, de mon enthousiasme; mais la musique a fait de tout temps ma passion. J'implore votre indulgence, mon cher frère, vous suppliant très-humblement d'être persuadé du respect et du tendre et soumis attachement avec lequel j'ai l'honneur d'être, mon très-cher frère, etc.

33. DE LA MÊME.

Le 9 août 1775.



Mon très-cher frère,

Je prends bien de la part, mon cher frère, au chagrin que vous avez de la mort tragique de la belle Thisbé.1_464-b L'attachement et la<465> fidélité qui faisaient son caractère feraient rougir bien des gens, si on pouvait lire au fond de leur cœur. Insinuante sans fausseté et dissimulation, assidue à ses devoirs sans intérêt ni ostentation, toujours occupée de vous plaire. ....1_465-a elle se fera regretter de tous ceux qui l'ont connue. Daignez, mon cher frère, agréer mes très-humbles remercîments pour les fruits, et soyez convaincu du tendre et respectueux attachement avec lequel j'ai l'honneur d'être, mon très-cher frère, etc.


1_434-a Toute cette lettre, excepté la signature Anne-Amélie et le post-scriptum, est de la main de la princesse Ulrique.

1_438-a Voyez ci-dessus, p. 375.

1_440-a C'est probablement la lettre imprimée t. XXVI, p. 88 et 89, sous le no 15.

1_440-b Voyez t. IV, p. 130 et 136.

1_442-a Le colonel Jean de Mayr. Voyez t. IV, p. 138 et 130; t. XXVI, p. 225.

1_444-a Voyez t. XXV, p. 343, no 6, et t. XXVI, p. V-IX, et 75-89.

1_445-a Voyez t. XII, p. 48.

1_446-a Frédéric parle de son Épître à ma sœur de Baireuth, qui commence ainsi :
     

O doux et cher espoir du reste de mes jours!

et qui se trouve t. XII, p. 40-47. Une copie de cette Épître était jointe à celle de la lettre ci-dessus, que nous devons aux Archives de Darmstadt.

1_449-a Ces vers se trouvent déjà, avec quelques corrections de l'Auteur, t. XII, p. 48-51.

1_452-a MM. Meckel et Muzell. Leur rapport sur la maladie du prince Auguste-Guillaume est textuellement reproduit dans le journal allemand Aeskulap, par F.-L. Augustin. Berlin, 1803, in-8, t. I, p. 67-101.

1_453-a Voyez t. XIX, p. 163, 218, 224, 225, 253 et 257.

1_453-b Voyez t. IV, p. 228 et suivantes.

1_454-a Racine, Iphigénie, acte III, scène VII. Voyez, de plus, notre t. XXV, p. 100.

1_455-a Voyez t. XXVI, p. 199 et suivantes, et p. 203-205.

1_455-b Voyez t. IV, p. 236 et 237.

1_455-c Voyez t. V, p. 29.

1_457-a La princesse Amélie a mis de sa main au bas de cette lettre la note suivante : « Deux mille écus en argent blanc, dont il me fait présent. »

1_458-a On lit, au bas de l'autographe de ce billet, les mots suivants, de la main de la princesse Amélie : « Berlin, 19 de janvier 1765, jour de la tragédie que mes neveux de Brunswic et ma nièce représentèrent, Iphigénie, de Racine. » Voyez t. XXIV, p. 85.

1_459-a Ces vers rappellent l'invitation poétique adressée par Frédéric à sa sœur Amélie, le 31 décembre 1767. Voyez t. XIII, p. 22 et 23.
      La princesse a écrit au bas de cette pièce : « Pour m'amuser je fis ce renvoi : »
     

« L'expérience nous l'enseigne,
Que tu écorches durant ton règne
Les sujets pour de l'argent.
Tout le public s'en formalise,
Car tu voles impunément
Tout ton peuple et mon Église. »

1_464-a La princesse parle de l'ouvrage principal de Hans-Leo Hassler (né à Nuremberg en 1564, mort à Francfort-sur-le-Main en 1612), dont un exemplaire, imprimé à Nuremberg en 1667, avait été retrouvé au collége du Cloître gris, à Berlin. Elle en fit faire, par Jean-Philippe Kirnberger, musicien de sa chapelle, une nouvelle édition, sous le titre de : Psalmen und Christliche Gesänge, mit vier Stimmen, auf die, Melodien fugenweis componirt : durch Hanns Leo Hassler, Römisch Kayserl. Majest. Hofdiener. Auf Befehl einer hohen Standesperson aufs neue ausgefertiget. Leipzig, aus Johann Gottlob Immanuel Breitkopfs Buchdruckerey, 1777, cent cinquante pages in-folio.

1_464-b Voyez ci-dessus, p. 231.

1_465-a Ces quatre points se trouvent dans l'autographe.