<397>

IV. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC SA SŒUR SOPHIE, MARGRAVE DE SCHWEDT. (11 JUILLET 1742 - 23 SEPTEMBRE 1765.)[Titelblatt]

<398><399>

1. DE LA MARGRAVE DE SCHWEDT.

Schwedt, 11 juillet 1742.



Mon très-cher frère,

L'heureux retour de Votre Majesté me touche de si près, que je ne saurais autrement qu'en témoigner ma joie à V. M., aussi bien que de la glorieuse conquête qu'elle vient de conquérir, et qui est affermie par cette heureuse paix. Ces sentiments de respect que j'ai pour vous, mon très-cher frère, vous doivent être connus; ainsi il est inutile de vous réitérer ce que mon zèle et attachement me dicte à ce sujet. Je n'aurais pas manqué de témoigner en personne mes très-humbles soumissions à V. M., si la maladie de ma fille cadette ne m'en avait empêchée par sa maladie, étant bien mal d'une fièvre; c'est ce qui me cause de sensibles inquiétudes. Le cœur d'une mère pâtit quand elle voit souffrir un enfant qu'elle aime. Ainsi je ne doute pas que V. M. agréera cette valable excuse, puisque rien au monde ne saurait être capable, sans cela, de m'empêcher de vous témoigner, mon très-cher frère, le profond respect avec lequel je serai jusqu'au tombeau,



Mon très-cher frère,

de Votre Majesté
la très-humble et très-obéissante et très-soumise
sœur et servante.
Sophie.

<400>

2. A LA MARGRAVE DE SCHWEDT.

Charlottenbourg, 14 juillet 1742.



Madame ma sœur,

Comme toutes les marques que je reçois de votre cher souvenir ont de quoi me réjouir, je vous laisse à juger de la satisfaction que votre dernière lettre ma causée; car encore que nos sentiments sur le démêlé en question ne s'accordent pas tout à fait, étant presque persuadé qu'il ne vaut pas la peine de s'en troubler, je me flatte que vous n'en voudriez pas tirer une conséquence contraire à mon intention et aux tendres égards que j'ai et que j'aurai toujours pour votre chère personne. Cependant le fond de la chose roulant sur la vraie possession du droit de patronage, je pourrai me résoudre de la faire examiner par un ministre de justice, afin de voir plus clairement de quel côté se trouve le droit et la raison. Au reste, mon heureux retour m'ayant rapproché de vous, je souhaite de recevoir souvent de bonnes nouvelles de votre prospérité, étant du fond de mon cœur, etc.

3. A LA MÊME.

Potsdam, 19 juillet 1742.



Madame ma sœur,

Entre tous les compliments que j'ai reçus au sujet de l'heureuse conclusion de la paix et de mon retour, celui que vous m'avez voulu faire m'a été d'autant plus agréable, que je connais la sincérité du cœur dont il a été dicté. Je vous en suis très-obligé, et je me flatte<401> que, étant à présent moins éloigné de vous qu'auparavant, j'aurai bientôt le plaisir de vous embrasser. Il est vrai que l'indisposition de la princesse votre chère fille le doit retarder quelque temps; c'est ce dont je suis fort fâché, en vous assurant de ma tendre compassion; mais comme je ne cesse de faire les vœux du monde les plus ardents pour la prompte convalescence, j'espère que le bon Dieu nous l'accordera dans peu. Je suis avec une très-sincère amitié, etc.

Je vous prie pour l'amour de Dieu d'être raisonnable, ma chère sœur, et de ne point copier votre Margrave dans ses mauvais procédés envers des voisins;1_401-a il faut vivre en paix avec tout le monde.

F.

4. A LA MÊME.

Potsdam, 21 juillet 1742.



Madame ma sœur,

Je viens de voir par votre lettre que vous continuez à me presser sur le démêlé que votre époux juge à propos d'avoir avec son voisin. Comme je vous ai déjà marqué ce que je pense sur cette querelle, vous comprendrez aisément qu'une correspondance ultérieure sur une matière si peu agréable ne saurait être à mon goût. Ainsi vous agréerez, s'il vous plaît, que je vous conseille en frère de vous tenir en repos et de montrer envers les gentilshommes de votre voisinage un comportement doux et pacifique, en oubliant tout à fait ce qui s'est passé. Cette conduite vous sera infiniment avantageuse, et elle<402> me charmera d'autant plus, que je suis très-véritablement, avec une amitié infinie, madame, etc.

5. DE LA MARGRAVE DE SCHWEDT.

Berlin, 26 juillet 1742.



Mon très-cher frère,

Quoique ma fille ne soit point encore du tout remise, l'empressement que j'ai eu de faire ma cour à V. M. ne m'a pas permis d'attendre son rétablissement. Je viens d'arriver dans ce moment, et attends l'heure avec impatience où j'aurai l'honneur de l'assurer de bouche du profond respect et de la soumission avec laquelle je suis toute ma vie, mon très-cher frère, etc.

6. A LA MARGRAVE DE SCHWEDT.

Potsdam, 2 juillet 1743.



Madame ma très-chère sœur,

Votre lettre du 27 du mois passé m'a été bien rendue, et je vous suis fort obligé de l'empressement que vous y témoignez à me voir chez vous et à me donner à dîner quand j'irai à Stettin. Ce serait avec bien du plaisir que je l'accepterais, si cette fois-ci je n'allais faire un<403> tout autre tour,1_403-a tant en allant qu'à mon retour, ce qui m'oblige de remettre la satisfaction que j'aurais de vous voir à une autre fois. Je suis avec toute l'amitié possible, etc.

Je passe, ma très-chère sœur, à cinq milles de Schwedt, ainsi que je ne pourrai pas profiter pour cette fois du plaisir de vous voir, vous remerciant de votre obligeante attention.

7. A LA MÊME.

Camp de Friedland, 11 juin 1745.



Madame ma sœur,

Comme il y a bien du temps que je n'ai pas eu de vos nouvelles, la lettre que vous m'avez faite le 25 du mois dernier de mai m'a fait beaucoup de plaisir. Je reconnais au possible la bonté que vous avez eue de disposer le Margrave de faire quelque chose pour le bien public, et quoique vous n'ayez pas pu réussir jusqu'à présent, et que je croie qu'il n'y ait guère d'apparence d'y réussir encore, je vous ai les mêmes obligations comme si le Margrave s'était prêté à ce que j'aurais souhaité de lui. Aussi, grâce à Dieu, voilà mes circonstances changées, de façon que je n'en ai plus besoin. Je vous prie d'être persuadée des sentiments invariables d'estime et de tendresse avec lesquels je suis, etc.

<404>

8. A LA MÊME.

(Berlin, 30 ou 31 décembre 1749.)



Ma très-chère sœur,

C'est à mon grand regret que j'ai vu, par vos lettres du 29 de ce mois, les justes raisons qui vous portent à vous plaindre des comportements du Margrave envers vous. Vous savez trop, ma très-chère sœur, la part que je prends à ce qui vous intéresse, pour que vous dussiez douter de l'attention que j'y donne; aussi viens-je de faire expédier mes ordres au ministre d'État comte de Podewils de parler sérieusement et énergiquement de ma part sur ce qui vous concerne au Margrave, ne doutant point que l'effet qui en résultera ne soit tel que vous en puissiez être entièrement satisfaite. Je suis, ma très-chère sœur, etc.

9. A LA MÊME.

Freyberg, 26 février 1760.



Ma chère sœur,

Vous saurez aisément vous figurer avec quel chagrin j'ai appris par votre lettre du 23 de ce mois la fâcheuse aventure qui est arrivée à Schwedt,1_404-a et dont je suis d'autant plus en peine, que je crains que la rude altération dont vous vous êtes ressentie n'influe sur votre santé, de laquelle cependant je vous prie avec instances d'avoir soin, pour prévenir toutes suites fâcheuses. J'ai encore bien de la com<405>passion avec le digne prince de Würtemberg de ce qu'il s'est vu entraîné avec sa digne épouse dans ce désastre. Mais, chère sœur, n'ai-je pas lieu d'être extrêmement étonné que, pendant le temps où il n'y a absolument pas moyen d'empêcher partout des incursions des bandes d'une vermine qui voltige par-ci par-là dans des pays ouverts et où ils ne trouvent aucune résistance, vous avec le Margrave ayez pu rester à un lieu tout ouvert, tel que Schwedt, sans garnison ni aucune précaution, en vous fiant ainsi, vous et votre chère famille, à la discrétion de gens reconnus, pour la grande part, pour brigands et les plus brutaux entre les barbares? J'avoue que je n'ai su jamais assez démêler cette sécurité du Margrave, sans cependant avoir soupçonné que les choses seraient allées si loin. Après donc la fâcheuse expérience que vous avez faite, il ne vous conviendra plus de rester encore à Schwedt, mais d'aller demeurer plutôt à Stettin, où vous serez au voisinage de Schwedt, et n'exposerez pas votre caractère ni votre personne et votre famille à de pareilles mauvaises aventures, et à des affronts et outrages pires peut-être que ceux qui vous sont arrivés. Profitez, je vous prie instamment, de cet avis d'un frère qui prend trop de part à tout ce qui vous regarde, et qui restera toujours avec des sentiments d'estime et de tendresse, ma chère sœur, etc.

10. A LA MÊME.

Freyberg, 24 mars 1760.



Ma chère sœur,

M'étant ressouvenu que je vous dois encore le payement des intérêts ordinaires du capital que feu notre père vous a légué dans son<406> testament,1_406-a et que je vous en suis en arrière même de l'année passée, j'ai bien voulu m'en acquitter d'abord, en faisant donner mes ordres au conseiller privé Koppen, à Berlin, de vous faire remettre au plus tôt la somme de trois mille écus à ce sujet. Vous aurez la bonté de me faire avoir votre quittance là-dessus comme à l'ordinaire, en excusant de ce que mes occupations présentes ne m'ont pas permis d'y songer pour m'en acquitter plus tôt. Mes vœux sont que vous vous portiez en un parfait état de santé, et vous ne douterez d'ailleurs de la sincérité des sentiments d'estime et d'amitié avec lesquels je suis à jamais, etc.

11. A LA MÊME.

Potsdam, 22 avril 1760.



Ma très-chère sœur,

Vous devez juger par mes sentiments pour vous, que vous connaissez, combien je suis touché et à quel point il m'a été douloureux d'apprendre le triste état de votre santé et le délabrement où vous vous trouvez. J'en compatis extrêmement, et fais les vœux les plus ardents pour votre heureux rétablissement. Je vous l'aurais marqué de ma main propre, si l'affaiblissement des forces qui me reste encore de l'accès violent de la goutte dont j'ai été attaqué depuis quelques semaines ne m'en empêchait. Comme j'apprends que vous désirez d'avoir Cothenius pour le consulter sur vos maux, je m'y conforme volontiers, et vous l'envoie en conséquence pour le consulter. Je ne saurais cependant pas vous dissimuler que, selon mon<407> avis, vous feriez mieux de vous tenir à Muzellius,1_407-a par la connaissance qu'il a des accidents de votre maladie et par son habileté reconnue. Je suis avec l'amitié la plus tendre et avec toute l'estime possible, etc.

12. DE LA MARGRAVE DE SCHWEDT.

Le 1er mai 1765.



Mon très-cher frère,

Il faudrait avoir un cœur bien ingrat et insensible, si je n'étais pénétrée jusqu'au vif, mon très-cher frère, des grâces et bontés que vous me témoignez derechef par le gracieux intérêt que vous prenez à ma santé. J'en suis vivement touchée, et ne saurais assez vous exprimer, très-cher frère, combien votre gracieuse lettre m'a pénétrée, et a fait un meilleur effet que toutes les médecines du monde. M. Cothenius pourra avoir l'honneur de vous dire que depuis une huitaine de jours je me porte beaucoup mieux, aux forces près. L'horrible toux commence à diminuer, ce qui me procure du repos, dont j'ai été entièrement frustrée. Je commence moi-même à croire que cette fois je me tirerai encore d'affaire, et il faut que je rende la justice à Muzellius qu'il s'est donné tous les soins et peines imaginables. Le sieur Cothenius et lui ont été aussi entièrement d'accord sur tout l'état de ma maladie. Je vous remercie aussi très-respectueusement, mon très-cher frère, de la grâce que vous m'avez faite de m'envoyer le sieur Cothenius. J'ai été hors de moi-même de le voir, m'ayant assurée que, grâce à Dieu, mon très-cher frère, vous commenciez<408> à vous remettre de votre vilaine goutte. J'ai pris plus de vingt fois la plume en main pour vouloir vous témoigner, mon très-cher frère, le chagrin que cela me causait de vous savoir souffrir; mais la terrible faiblesse dont je me ressentais ne me l'a pas voulu permettre. Ainsi j'ai souffert doublement, puisque votre précieuse santé me tient plus à cœur que ma vie; et le ciel veuille, mon très-cher frère, vous rendre bientôt toutes vos forces! Et je vous prie de croire que si la vie m'était chère, et que je désire de la conserver, ce n'est que pour vous prouver que, tant qu'il me restera un souffle, je ne cesserai de vous aimer, adorer et respecter, étant avec une très-profonde soumission, mon très-cher frère, etc.

13. DE LA MÊME.

Le 10 mai 1760.



Mon très-cher frère,

L'espérance flatteuse que vous me donnez, mon très-cher frère, d'avoir le bonheur de vous voir ici à votre retour de Stargard me cause une satisfaction et une joie peu exprimable; et si je suis à demi morte, je crois que cela me rendrait la vie en revoyant celui pour qui j'en donnerais mille, si je les avais. Je vous remercie très-humblement, mon très-cher frère, de l'honneur que vous voulez me faire, et vous assure que j'attends cet heureux moment avec la dernière impatience. Ma santé continue à se remettre, mais un peu lentement. J'espère que lorsque le temps sera plus chaud, ma guérison ira d'autant plus vite, et que je serai en état de vous recevoir dans ma chaumière le<409> mieux qu'il me sera humainement possible, et de vous réitérer de vive voix que mon cœur vous adore, et que mon respect est inviolable, étant, mon très-cher frère, etc.

14. DE LA MÊME.

(Schwedt) 1er juin 1760.



Mon très-cher frère,

Vous ne vous êtes pas contenté seulement, mon très-cher frère, de me témoigner toutes les grâces et bontés imaginables pendant le peu de séjour que vous avez fait ici, mais à mon réveil j'ai trouvé une lettre qui m'a pénétrée jusqu'au fond du cœur, et il faudrait n'avoir pas le moindre sentiment pour ne pas être touchée de la candeur et de l'amitié fraternelle avec laquelle vous daignez agir avec moi. Tout ce que je pourrais vous dire à ce sujet ne serait pas suffisant, et toutes mes expressions trop faibles. J'ai recours à votre indulgence, étant bien persuadée que vous me connaissez trop bien pour ne pas être convaincu que vous n'avez pas affaire à une sœur ingrate, mais à une personne qui vous chérira et adorera toute sa vie. Qu'il est triste que ces heureux moments que j'ai eu le bonheur de passer avec vous, mon très-cher frère, se sont écoulés si vite! et que n'aurais-je pas donné, si j'avais pu les métamorphoser en jours! J'ai cependant mille très-humbles excuses à vous faire d'avoir été si mauvaise hôtesse, et en même temps mille très-humbles remercîments de vous avoir bien voulu ennuyer avec une pauvre infirme. Si le bon Dieu me rend ma santé, ce que j'ai tout lieu d'espérer, je tâcherai de le redresser<410> lorsque vous m'honorerez une autre fois d'un pareil bonheur. L'intérêt que vous daignez prendre à ma santé ne peut que contribuer à la rendre meilleure de jour en jour. Veuille le ciel seulement conserver la vôtre, qui est d'un prix inestimable! Et c'est une grande consolation pour moi de ce que, grâce à Dieu, je vous ai trouvé si bon visage après toutes les terribles douleurs de goutte que vous avez eues. J'espère qu'elles seront bannies pour longtemps à présent, et que vous jouirez d'une santé parfaite. Ce sont les vœux de celle qui a l'honneur de se nommer avec un très-profond respect, etc.

15. DE LA MÊME.

(Schwedt) 23 septembre 1765.



Mon très-cher frère,

C'est avec une satisfaction sans égale que je vois par votre gracieuse lettre que les bains vous ont soulagé. Dieu veuille continuer, mon très-cher frère, à vous conserver et fortifier la santé, vœux que je ne cesse de faire journellement! Les reproches gracieux que vous me faites, mon très-cher frère, de ne vous avoir pas fait mention de ma santé, me sont des plus flatteurs; et si j'ai passé cet article sous silence, c'est que je ne pouvais vous faire part de ma guérison, ayant passé un assez mauvais été. Depuis quelques jours, je suis attaquée de très-violentes coliques qui m'affaiblissent et me font garder le lit. Mes jambes sont dans une triste situation; je ne puis presque plus en faire usage, à cause de l'enflure et faiblesse que j'y ressens. Je prends de nouveaux remèdes, dont l'on m'a assuré une bonne réussite; le<411> temps est encore trop court pour que je puisse encore juger si cela me soulagera. Voilà, mon très-cher frère, en raccourci, le détail de ma santé chancelante; c'est pour moi une vraie consolation de l'intérêt que vous daignez y prendre, et je vous supplie d'être persuadé que, tant qu'il me restera un souffle de vie, je ne cesserai de me dire avec un très-profond respect, mon très-cher frère, etc.


1_401-a Voyez J.-D.-E. Preuss, Friedrich der Grosse, eine Lebensgeschichte, t. III, p. 526 et 527, nos 1 et 2.

1_403-a Le Roi passa par Rheinsberg.

1_404-a Voyez t. V, p. 48.

1_406-a Voyez t. XXVI, p. 631, et ci-dessus, p. 375.

1_407-a Voyez t. XXVI, p. 426.