343. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

(Tamsel) 30 août 1758.



Ma très-chère sœur,

Dans ce moment je reçois votre chère lettre du 20 d'août, où je trouve toutes ces marques de votre amitié et de votre tendresse, à laquelle je me confie, et dont je suis aussi persuadé que du jour; mais, ma chère sœur, ce que je cherche à présent dans vos lettres, c'est l'état de votre santé, et voilà sur quoi vous me parlez si incertainement, que j'ai trouvé peu de consolation en la recevant. Pour Dieu,<360> connaissez-moi mieux que vous ne faites, et ne pensez pas que tout ce qui est du ressort de la vanité et de l'intérêt entre en compte avec la tendre et inviolable amitié et l'attachement pour la vie que je vous ai voué. Si vous m'aimez, donnez-moi quelques espérances de votre rétablissement. Non, la vie me serait insupportable sans vous. Ceci ne sont pas des phrases, cela est vrai. Pour vous dire comme je suis, tout autre que moi aurait été au comble de la joie après avoir remporté une aussi grande victoire que celle du 25, où plus de trente mille Russes ont péri; pour moi, j'ai eu le malheur d'y perdre un aide de camp que j'avais élevé, qui s'était singulièrement attaché à moi. Ce brave garçon, dans un moment critique, s'est mis à la tête d'un escadron, il a chargé et renversé un corps russe, et par malheur il a été tué, après avoir reçu quarante-sept blessures.1_360-a Depuis ce moment, mes yeux sont devenus des fontaines de larmes, et, quoi que fasse ma raison, je ne saurais m'en consoler. Me voilà comme je suis; je vous confie toutes mes pensées et mes chagrins intérieurs. Pensez donc ce que je deviendrais, si j'avais le malheur irréparable de vous perdre. O ma chère, ma divine sœur! daignez faire l'impossible pour vous rétablir. Ma vie, mon bonheur, mon existence est entre vos mains. Faites, je vous conjure, qu'il m'arrive bientôt des consolations, et que je ne devienne pas le plus malheureux de tous les mortels. Ce sont les sentiments avec lesquels je serai jusqu'au dernier soupir de ma vie, ma très-chère sœur, etc.


1_360-a Deux aides de camp de Frédéric, le comte de Schwerin (t. V, p. 177 et 178) et M. d'Oppen, furent faits prisonniers par les Russes à la bataille de Zorndorf; la relation prussienne de cette victoire les disait tués. C'est probablement du capitaine d'Oppen qu'il s'agit dans cette lettre, car le comte de Schwerin n'était devenu aide de camp du Roi qu'après la bataille de Prague. Quant au capitaine d'Oppen, il est probable qu'il mourut de ses blessures. Nos recherches sur ce brave officier sont demeurées sans résultat.