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53. A LA MÊME.

Remusberg, 2 février 1738.



Ma très-chère sœur,

Vous avez bien de la bonté de vouloir me communiquer ce que le Roi vous a écrit sur mon sujet. Voulez-vous que je vous explique le mystère de ma faveur? Ce n'est pas flatter mon amour-propre, mais c'est dire vrai que de vous assurer que je n'y ai aucune part, comme vous le verrez. Le Roi avait écrit au margrave de Schwedt de se rendre à Berlin en compagnie de ma sœur, ce que le Margrave a refusé de faire; et ce qui a plus irrité le Roi contre lui, c'est qu'il a écrit au Roi une lettre très-impertinente. Nous sommes venus sur ces entrefaites, et pour punir l'autre de sa désobéissance, on nous a caressés pour le dépiter. Telles sont les choses de ce monde, ma très-chère sœur, que les apparences trompent, et. font paraître les objets sous des formes différentes de celles qu'elles ont naturellement. Voyez un bois au lointain, les feuilles vous sembleront bleuâtres. Voyez les hommes du haut d'une tour, ils vous paraîtront bien petits; mais descendez, et considérez-les de près, alors vous serez en état de juger de leur taille. Enfin, pour être bien instruit des causes qui ont contribué à la mort d'une personne, il faut l'ouvrir et examiner ses parties, sans quoi le plus habile médecin est sujet à se tromper; tant il est vrai que l'illusion de l'apparence nous séduit souvent, et nous fait porter des jugements aussi frivoles que faux.

La Reine a été indisposée d'un rhumatisme; mais grâces à Dieu, elle est entièrement remise. Quant à nous, je ne saurais que vous en dire, sinon que, pour ma personne, j'ai toute la journée le nez sur les livres; les autres jouent, badinent, dorment, dansent, et se divertissent, chacun à leur manière. M. de Brandt vient d'arriver; il est