<446> Je vous envoie une élégie que j'ai faite dans le tumulte de nos camps, adressée à ma sœur de Baireuth.a

14. A LA MÊME.

Erfurt, 27 septembre 1757.



Ma chère sœur,

Nos affaires en sont encore sur le pied que je vous l'ai écrit dernièrement. Je fais comme ces gens accablés de mouches, qui les chassent de leur visage; mais quand l'une s'envole de la joue, une autre vient se mettre sur le nez, et à peine s'en est-on défait, qu'une nouvelle volée se place sur le front, sur les yeux, et partout. Enfin cet ouvrage durera, je crois, jusqu'à ce que le grand froid engourdisse cet essaim insupportable. Souvent je voudrais m'enivrer pour noyer le chagrin; mais comme je ne saurais boire, rien ne me dissipe que de faire des vers, et tant que la distraction dure, je ne sens pas mes malheurs. Cela m'a renouvelé le goût pour la poésie, et quelque mauvais que soient mes vers, ils me rendent, dans ma triste situation, le plus grand service. J'en ai fait pour vous, ma chère sœur, et je vous les envoie, pour que vous voyiez que la tristesse même ne m'empêche pas d'avoir l'esprit rempli de votre souvenir.

Vous souffrez donc aussi de nos cruelles guerres,
Et le Français fougueux, insolent et pillard,


a Frédéric parle de son Épître à ma sœur de Baireuth, qui commence ainsi :
     

O doux et cher espoir du reste de mes jours!

et qui se trouve t. XII, p. 40-47. Une copie de cette Épître était jointe à celle de la lettre ci-dessus, que nous devons aux Archives de Darmstadt.