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30. A LA MÈME.

Ruppin, 11 août 1735.



Ma très-chère sœur,

Vous voilà donc au milieu d'une armée russienne,a et entourée de ce que la terre a fait de plus barbare. Que je vous plains, ma très-chère sœur, et que je comprends l'ennui dans lequel vous serez! Cependant j'espère que vous vous en tirerez bientôt, et que ces messieurs les barbares ne pourront pas se vanter d'avoir possédé longtemps le trésor le plus précieux de l'Allemagne. Les choses changent bien dans le monde; les femmes deviennent amazones, et les hommes restent au logis. Le Roi me trompe, car, après m'avoir promis tout ce que je pouvais souhaiter, il ne me tient justement rien du tout, et cela, avec les manières les plus aisées du monde, car il sait bien que je n'ai pas de quoi l'obliger à tenir sa parole. Il se porte mieux que jamais, et quand vous le reverrez, je suis persuadé que vous direz que de dix ans vous ne l'avez vu dans cet état. Me voilà donc à la veille d'aller à Wusterhausen, et à me retrouver dans une situation la plus gênante, la plus insupportable et la plus triste du monde. Je vous prierai alors de faire des prières pour une âme qui est dans le purgatoire, afin qu'elle en soit retirée bientôt. Il ne me reste plus qu'à vous assurer, ma très-chère sœur, que je suis, malgré tout cela, avec bien de l'estime et de la tendresse, ma très-chère sœur, etc.

Je vous prie de faire mes compliments au Margrave.


a Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 224-226.