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325. A LA MÊME.

Linay, 22 juillet (1757).



Ma très-chère sœur,

J'ai eu l'agrément de recevoir aujourd'hui deux de vos lettres, dont l'une est du 16. La mauvaise conduite qu'a tenue mon frère de Prusse m'oblige à quitter Leitmeritz; j'espère de redresser ses sottises, si, humainement, cela est possible. Vous jugez très-bien, ma chère sœur, de notre situation présente et de ce qu'il en peut résulter pour l'avenir. Comme je n'ai aucun pouvoir sur les causes secondes, je ne prétends point régler mes destinées; je me borne à me conduire sagement, à profiter des occasions, si elles se présentent à moi, et je suis résolu d'opposer un front d'airain à tous les contre-temps qui peuvent m'arriver. Quand une fois un cheval a pris le mors aux dents, il ne voit, il ne connaît plus de danger. Je suis très-fâché, ma chère sœur, des contre-coups que vous ressentez de mon infortune; j'ose prédire que cela n'en restera pas à vous, mais que la catastrophe deviendra générale, si la fortune ne se ravise pas bientôt. Je me moque, dans le fond, et des troupes de l'Empire, et des Français, et des Suédois, et des Autrichiens, s'ils voulaient se succéder les uns aux autres; mais si j'avais autant de bras que Briarée, je ne pourrais suffire pour expédier l'hydre renaissante qui se présente à moi, qui se multiplie tous les jours, et qui m'assiége de tous côtés. Je suis dans le cas d'un voyageur attaqué par une grande troupe de brigands qui l'assassinent, et qui se partagent sa dépouille. Quand je serai assassiné, il m'importera peu que deux impératrices, un Roi Très-Chrétien, et je ne sais combien de grands princes, tous très-justes et très-religieux, m'aient fait cet honneur. Je parie à coup sûr que la France se repentira tôt ou tard de la sottise et de l'inconséquence de sa conduite présente; mais tout cela ne console guère. Il arrive quelquefois