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295. A LA MÊME.

Ce 17 (mai 1756).



Ma très-chère sœur,

J'ai eu la satisfaction de recevoir votre lettre datée de Florence. J'y vois, ma chère sœur, bien des belles églises, de beaux tombeaux et de belles antiquités; mais je vous avoue que je suis fort fâché de n'y pas trouver la seule chose que j'y cherche, le rétablissement de votre santé. Je crois qu'un exercice médiocre vous peut être très-salutaire; mais je crains que les fatigues d'un long voyage ne vous énervent trop. Vous trouverez l'Italie comme une vieille coquette qui se croit aussi belle qu'elle le fut dans sa jeunesse, et qui laisse encore juger, par quelques restes de beaux traits, de ce qu'elle fut autrefois. Les traces de la grandeur romaine qui subsistent encore depuis tant de siècles, les richesses fameuses que les fraudes pieuses extorquèrent à la superstition de l'Europe barbare, une ville, capitale du monde païen par ses conquêtes et du monde chrétien par l'habileté de son artifice, voilà à peu près ce que vous pouvez trouver en Italie. Si vous y joignez les chefs-d'œuvre des arts, autrefois florissants sous Auguste et sous Léon X, et, pour le présent, messieurs les soprani, de mauvais maîtres de musique, des peintres misérables, des sculpteurs encore au-dessous de ceux-là, le souverain pontife devenu l'aumônier des rois, de petits États faibles, beaucoup d'astuce, de l'esprit, mais point de génie, une nation faite pour porter l'esclavage du premier occupant, un climat divin, mauvaise société, beaucoup de richesses possédées par des avares, des moines et des prêtres de toutes les espèces, beaucoup de zèle, point de religion, beaucoup d'ignorance et beaucoup de prévention : en un mot, le siècle d'aujourd'hui, pour l'Italie, n'est plus comparable à celui de César ou d'Auguste, et si on le compare à celui de Léon X, c'est comme un mauvais dessin fait au crayon