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18. A LA MÊME.

Heidelberg, 2 septembre 1734.



Ma très-chère sœur,

J'ai été bien réjoui hier en recevant votre chère lettre, ayant déjà été en mille inquiétudes pour votre précieuse santé. Pour ce qui nous regarde, ma très-chère sœur, je puis vous assurer que nous sommes tous en très-bonne santé, et toujours immobiles dans notre camp. L'on se prépare déjà pour le cantonnement et pour les quartiers d'hiver, et j'ai été tous ces jours passés pour voir les préparatifs que l'on fait pour cet effet. Un corps de troupes françaises est campé vis-à-vis du Rhin, que nous avons vu camper; l'on pouvait les connaître très-bien, et le chasseur de votre margrave, voulant signaler son courage, tira quelques coups d'arquebuse rayée contre les gardes qui étaient vis-à-vis de nous. Ceux-là, entendant mal cette raillerie, nous saluèrent d'une bonne salve; mais comme l'eau attire les balles, il n'en passa pas au bord. L'on a bien réprimandé le chasseur, qui, par un zèle malentendu, nous pensa attirer une mauvaise affaire.a

Les nouvelles que nous avons du Roi sont fort mauvaises; il est dans une triste situation, et l'on ne lui pronostique pas une longue vie. Enfin, j'ai pris le parti de me consoler de tout ce qui arrivera; car, au bout du compte, je suis fort persuadé que, pendant qu'il vivra, je n'aurai guère de bon temps, et je crois que je trouverai cent raisons pour une qui vous le feront oublier assez vite, car ce qui vous attendrit envers lui, c'est, ma très-chère sœur, que vous ne l'avez pas vu de longtemps; mais si vous le revoyiez, je crois que vous le laisseriez bien reposer en paix, sans vous chagriner. Consolons-nous donc ensemble, ma très-chère sœur, et faites-moi la grâce de me conserver votre précieuse amitié, comme la chose du monde


a Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 193 et 194.