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211. DU PRINCE HENRI.

Pétersbourg, 13 octobre (nouveau style) 1770.



Mon très-cher frère,

Je suis arrivé hier au soir, et ne puis vous exprimer toutes les attentions que l'Impératrice a pris le soin de prendre depuis que j'ai touché les frontières de ses États jusqu'à mon arrivée ici. Sans compter le nombre de ceux qui m'ont reçu, elle a envoyé au-devant de moi des officiers et des généraux pour me faire des compliments de sa part, et j'ai trouvé le comte Panin pour me recevoir à l'hôtel qu'elle m'a destiné. Vous connaissez, mon très-cher frère, ce ministre par la réputation qu'il s'est acquise, et vous aurez la grâce de juger combien j'ai été sensible qu'il fût le premier, à Pétersbourg, dont je fis la connaissance. Il est sensiblement pénétré de reconnaissance pour les compliments que je lui ai faits de votre part. J'ai été aujourd'hui à midi chez l'Impératrice. Son accueil répond à la réputation de ses grandes qualités; elle met toute l'aisance avec toute la dignité dans le commerce de la vie. J'ai droit d'être flatté de la manière dont elle m'a reçu, et j'ai été sensiblement réjoui sur sa façon de penser, lorsqu'elle m'a répondu au compliment, mon cher frère, que je lui ai fait de votre part. Sa cour est des plus brillantes; le goût et la magnificence y sont réunis. Le grand-duc paraît extrêmement aimable, et répond à la bonne éducation et aux soins que le comte Panin lui a donnés sous les yeux de l'Impératrice. Tous les seigneurs de la cour dont j'ai pu faire la connaissance sont très-polis, et dignes du choix de l'Impératrice. Le comte Orloff est un de ceux qui sont les plus empressés à me faire politesse, et j'en sens374-a le prix d'autant plus, à cause que l'Impératrice l'honore beaucoup de son estime. Voilà en peu de mots le tableau de ce que j'ai vu aujourd'hui; il est assez<375> beau pour que j'aie cru, mon très-cher frère, qu'il mérite votre attention. Mon voyage, d'ailleurs, a été fort pénible. J'ai été huit jours sur mer par des tempêtes continuelles. J'ai échappé heureusement à toute sorte de hasards que nous avons couru risque d'avoir. La Finlande, par où j'ai passé, est un pays horrible; cela fait, depuis Åbo jusqu'à Pétersbourg, au delà de cent milles d'Allemagne. On passe par des sentiers dans une espèce de désert. Les contrées de la Suède paraissent un paradis à côté de celles-ci; mais on se trouve dédommagé amplement en voyant Pétersbourg, où les palais somptueux et tous les embellissements que l'Impératrice fait à la ville la rendront une des plus belles de l'Europe. Voilà, mon cher frère, où je terminerai ma lettre. Puissiez-vous être convaincu du désir sincère que j'ai de vous prouver en toute occasion le tendre et sincère attachement avec lequel je suis, etc.


374-a Le mot sens manque dans l'autographe.