207. AU MÊME.

Breslau, 9 septembre 1770.



Mon cher frère,

J'ai reçu votre chiffre de Suède. Je suis charmé d'y voir ma sœur en de si bonnes dispositions. Qu'elle reste avec ses Français tant qu'elle voudra, pourvu qu'elle garde des ménagements indispensables et nécessaires avec les Russes, pour que l'animosité ne devienne pas trop grande, et que l'impératrice de Russie ne pousse pas son animosité trop loin. Pour revenir à présent aux affaires importantes, vous saurez que le jour de mon arrivée à Neustadt369-b j'ai reçu un courrier de Constantinople, par lequel on me mande que la Porte ottomane a demandé ma médiation et celle de la cour impériale pour faire la paix avec les Russes. Ceci a donné lieu à des conférences que j'ai eues avec le prince de Kaunitz sur ce sujet. Nous sommes assez d'accord dans nos principes et dans nos idées. Je vais donc d'abord, à mon retour, expédier un courrier en Russie, pour apprendre si l'Impératrice approuve cette médiation, ou si elle la refuse. Je crois que la cour de Vienne laissera Asow à la Russie, sans en prendre autrement jalousie, pourvu que la Valachie et la Moldavie soient restituées, et que<370> le despote de ces provinces demeure sous la domination turque. Et quant aux affaires de la Pologne, si l'impératrice de Russie se modère un peu sur ses demandes relativement aux dissidents, qu'ils n'aient point part à la législation, que le grand général soit maître de l'armée, et qu'on n'impose de subsides à la nation que du gré des diètes, tout se tranquillisera, et nous et les Autrichiens, nous nous engagerons nous-mêmes à ranger les Polonais récalcitrants à leur devoir, au cas qu'ils ne voulussent consentir à des propositions aussi modérées. Vous aurez deux grands arguments, mon cher frère, pour appuyer ces propositions auprès de l'impératrice de Russie. L'un est celui de sa gloire, qui ne peut monter plus haut qu'en témoignant de la modération après tant de victoires; les succès de la guerre se partagent entre tant de personnes qui y participent sans doute, mais la clémence du vainqueur ne se partage avec personne; elle lui est propre, et tourne uniquement à sa gloire. Le second argument est celui que pour jouir d'une paix solide, il la faut faire à des conditions supportables; et si l'impératrice de Russie ne prend pas ce parti, elle sera continuellement obligée de retoucher à son ouvrage en Pologne, et à la fin il en pourra venir des troubles si considérables, qu'ils engageront toute l'Europe dans cette querelle. Sa gloire, ainsi que sa tranquillité, exige donc qu'elle dicte de telles conditions de la paix qui la rendent supportable aux Polonais,370-a et qui fassent qu'elle soit stable et durable. Vous qui avez tant d'esprit, vous étendrez comme vous le jugerez à propos ce que je vous dis en deux mots; et en insinuant ces idées à l'impératrice de Russie, et en les répétant quelquefois au comte de Panin, je ne doute point que vous ne réussissiez, mon cher frère, à les faire agréer et à devenir dans ce moment critique le principal instrument de la pacification de l'Europe. Je suis, etc.


369-b Le 3 septembre. Voyez t. VI, p. 31-33; t. XXIII, p. 191; t. XXIV, p. 226.

370-a Voyez t. XXV, p. 519.