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III. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC SON FRÈRE LE PRINCE DE PRUSSE (4 NOVEMBRE 1736-24 JANVIER 1758.)[Titelblatt]

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1. AU PRINCE GUILLAUME.

Rheinsberg, 4 novembre 1736.



Mon très-cher frère,

Le témoignage que me donne votre lettre de votre convalescence me fait un plaisir infini. Je suis en même temps charmé de voir la justice que vous rendez à l'amitié que j'ai pour vous; elle ne changera jamais, mon cher frère; comptez sur elle, je vous prie, car elle est immortelle.

Je vous ennuierais assurément, si je vous faisais le récit des angoisses que j'ai souffertes pendant votre maladie. Vous n'avez qu'à vous figurer ce que c'est que la tendre amitié d'un frère pour juger de mes inquiétudes, vous sachant en danger. Dieu soit loué qu'il vous en a tiré! Puisse-t-il vous conserver de tout accident et de toute maladie, et vous procurer tout le contentement que votre bon cœur mérite!

Je vous prie, mettez-moi très-respectueusement aux pieds de la Reine. Assurez-la de ma profonde vénération. J'aurai l'honneur de lui écrire demain. Voulez-vous bien avoir la bonté de faire bien mes amitiés au prince Henri et mes compliments à mes sœurs? Écrivez-moi deux mots naturellement, je vous prie, si le Roi a parlé de nous ou non; quand même on a la conscience bonne, l'on est pourtant toujours inquiet sur ce chapitre. Conservez-moi, je vous prie, mon très-cher frère, dans votre précieuse amitié; je crois la mériter par<98> le véritable attachement que j'ai pour vous, et par la parfaite estime avec laquelle je suis à jamais,



Mon très-cher frère,

Votre très-fidèle frère et serviteur,
Frederic.

La princesse vous assure de ses amitiés.

2. AU MÊME.

Remusberg, 27 octobre 1738.



Mon très-cher frère,

Vous serez servi comme vous l'ordonnez. Je fais transcrire actuellement l'Épître98-a qu'il vous plaît de me demander. Je souhaite seulement qu'elle puisse vous délasser de vos occupations et ne vous point causer de l'ennui. Ma principale étude, mon très-cher frère, est de me rendre heureux et de le rendre les autres; c'est en quoi consiste, autant qu'il me paraît, la sagesse. Vous avez naturellement tant de belles, de bonnes, de généreuses dispositions, que votre bon naturel, votre bon cœur, vous en apprennent plus et davantage que les livres n'en disent à d'autres. Continuez, mon cher frère, à toujours penser<99> de même, et vous ferez le bonheur de tous ceux qui auront celui de vous approcher. Personne n'y sera plus sensible qu'un frère qui vous chérit et vous adore, et qui sera à jamais avec une estime infinie, mon très-cher frère, etc.

3. AU MÊME.

Pogarell, 8 avril 1741.



Mon très-cher frère,

L'ennemi vient d'entrer en Silésie. Nous n'en sommes plus éloignés que d'un quart de mille.99-a Le jour de demain doit donc décider de notre fortune. Si je meurs, n'oubliez pas un frère qui vous a toujours aimé bien tendrement. Je vous recommande en mourant ma très-chère mère, mes domestiques, et mon premier bataillon. J'ai informé Eichel et Schumacher99-b de toutes mes volontés. Souvenez-vous toujours de moi, mais consolez-vous de ma perte; la gloire des armes prussiennes et l'honneur de la maison me font agir, et me conduiront jusqu'à ma mort. Vous êtes mon unique héritier; je vous recommande en mourant ceux que j'ai le plus aimés pendant ma vie, Keyserlingk, Jordan, Wartensleben, Hacke, qui est un très-honnête homme, Fredersdorf et Eichel, sur qui vous pouvez mettre une entière confiance. Je lègue huit mille écus que j'ai avec moi à mes domestiques; mais tout ce que j'ai d'ailleurs dépend de vous. Faites à chacun de mes frères et de mes sœurs un présent dans mon nom; mille amitiés et compliments à ma sœur de Baireuth. Vous savez ce<100> que je pense sur leur sujet, et vous connaissez, plus que je ne saurais vous le dire, la tendresse et tous les sentiments de l'amitié la plus inviolable avec lesquels je suis à jamais,



Mon très-cher frère,

Votre fidèle frère et serviteur
jusqu'à la mort,
Federic.100-a

4. AU MÊME.

Ohlau, 17 avril 1741.



Mon très-cher frère,

Ce me sera une véritable consolation que de vous revoir; je me flatte d'avoir demain ce plaisir.

Nous avons battu l'ennemi; mais tout le monde pleure, l'un son frère, l'autre son ami; enfin nous sommes les vainqueurs les plus affligés que vous puissiez vous figurer. Dieu nous préserve d'une affaire aussi sanglante et meurtrière que celle de Mollwitz! Le cœur me saigne lorsque j'y pense.

Adieu, cher frère; aimez-moi toujours, et soyez persuadé de la tendresse infinie avec laquelle je suis, etc.

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5. AU MÊME.

Potsdam, 24 février 1744.



Mon très-cher frère,

Le prince Charles101-a m'a rendu votre lettre, qui m'a fait bien du plaisir, vous sachant en bonne santé et content. Je suis bien aise que vous vouliez suivre mon conseil, et penser un peu à des choses sérieuses qui tôt ou tard doivent faire votre métier. Je n'ai point d'enfants, je puis mourir, et je vous regarde comme mon héritier. Il vous conviendrait mal de vous mêler d'intrigues et de faire des cabales dans l'État; mais il vous convient de vous instruire de tout pour vous faire de justes idées d'un gouvernement où le destin vous appelle avec le temps. Ce serait même honteux, à votre âge, si vous n'aviez pas les informations de ce qui se passe dans votre patrie; et le militaire ne saurait subsister ni se maintenir solidement sans la bonne administration des finances. Je crois que vous m'aimez trop pour espérer sur ma mort; mais il n'en est pas moins votre devoir d'acquérir les connaissances nécessaires, qui, en ce cas, pourraient vous rendre qualifié pour régner et pour bien conduire les affaires par vous-même. Il faut à notre État un prince qui voie par ses yeux, et qui gouverne par lui-même. Si le malheur voulait que ce fût autrement, tout dépérirait; ce n'est qu'un travail fort laborieux, une attention continuelle et beaucoup de petits détails qui chez nous produisent les grandes affaires. Il faut donc s'y appliquer de bonne heure, et si vous ne commencez pas à présent à vous y accoutumer, cette vie vous deviendra insupportable lorsque votre caractère vous obligera d'en remplir les pénibles devoirs. Voilà les raisons, mon cher frère, pour lesquelles je souhaite que vous vous informiez de tout. Vous voyez que ce n'est pas mon intérêt qui m'y oblige, mais que mes intentions sont sincères pour vous, et que je n'ai en vue<102> que le bien futur de l'État, et de perpétuer la gloire de la maison, qui dépend absolument du mobile principal qui gouverne l'État. Je suis persuadé que vous sentirez vous-même la force des motifs que je vous allègue, et que peut-être, après ma mort, vous en serez reconnaissant envers mes cendres. Je suis avec la plus tendre amitié, etc.

6. AU PRINCE DE PRUSSE.

Potsdam, 1er août 1744.



Mon cher frère,

Vous me connaissez bien mal, puisque vous croyez que je ne pense pas à vous; mais ce n'est pas d'aujourd'hui que vous me faites de pareilles injustices, et je remarque de reste que vous n'avez aucune confiance en moi. Si c'était une expédition d'hiver, je vous ménagerais sans doute; mais dans la saison présente, il n'y a aucune raison qui m'oblige à vous laisser en arrière. Vous viendrez donc quand vous le voudrez, et que vous aurez achevé vos affaires auprès du régiment, pour me suivre dans la marche que nous allons faire. Vous priant de me croire avec toute l'estime possible, etc.

7. DU PRINCE DE PRUSSE.

Berlin, 2 avril 1745.

J'ai reçu les très-gracieuses lettres que vous avez eu la grâce de m'écrire, et je puis vous assurer que je suis toujours dans une joie<103> inexprimable quand j'en reçois, voyant par là que vous vous ressouvenez encore de moi; c'est la seule consolation que je puisse avoir ici.

Le régiment de Leps103-a est marché ce matin. C'est là tout ce qui s'est passé de nouveau depuis que j'ai eu l'honneur de vous écrire. On débite ici plusieurs nouvelles, entre autres, que l'armée autrichienne doit s'assembler le 5 d'avril près d'Olmütz, que le général Thüngen doit être détaché avec un corps pour couvrir les frontières de Bohême. Tout cela, s'il est vrai, ne laisse pas d'être des préparatifs pour que la campagne s'ouvre aux premiers jours. Vous avez eu la grâce de me marquer dans la première lettre que la cavalerie doit faire un mouvement pour s'approcher plus près de Neisse. Tout cela me fait douter qu'aux premiers jours vous ferez une marche en avant; et où serai-je alors? A Berlin. Ayez la grâce de penser combien cela me chagrine, ayant toute l'envie au monde pour apprendre quelque chose, et ne pouvant peut-être de ma vie en retrouver l'occasion. Je vous supplie donc instamment de me tirer d'ici, où je suis dans mille inquiétudes, et où tout ce qui me fait sans cela plaisir se tourne en chagrin quand je réfléchis sur mon sort. J'ai la confiance que j'obtiendrai cette fois la grâce que je vous demande. Dans cette espérance, je finis en restant jusqu'à la fin de mes jours,



Mon très-cher frère,

Le très-humble, très-obéissant serviteur
et fidèle frère,
Guillaume.

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8. AU PRINCE DE PRUSSE.

Potsdam, 15 juillet 1746.



Mon très-cher frère,

Vous savez que je vous aime, et que ce m'est toujours un sensible plaisir de vous voir. J'ai été charmé d'avoir cet agrément à Oranienbourg et à Remusberg; cela me tiendrait lieu de tout autre amusement, si, mon cher frère, votre goût et votre magnificence ne vous en avaient procuré de toutes les espèces. Je souhaite fort que la chaleur d'hier et d'aujourd'hui n'incommode pas la Reine. Hier, après son départ, nous avons fait un souper champêtre sur le pont de Remusberg, en donnant des regrets à la bonne compagnie qui venait de quitter cette douce retraite. J'ai fait mes stations aujourd'hui à Ruppin et à Nauen, et dans des lieux qui m'ont fait ressouvenir des heureuses erreurs et des égarements de mon jeune âge. En repassant sur ce théâtre de mes bruyants plaisirs, je voyais tous les vieux bourgeois qui s'entre-disaient à l'oreille : « Certes, notre bon roi est bien le plus grand maître fou de ses États; nous le connaissons, et savons ce qu'en vaut l'aune, et nos fenêtres encore davantage. Enfin, grâce à Dieu, peut-on avoir des fenêtres entières depuis que cet insensé, dénichant de ces lieux, est allé briser celles de la reine de Hongrie. » Jugez, je vous prie, combien mon amour-propre a été humilié par ce beau panégyrique. J'ai cependant pris le parti d'imiter l'exemple prudent des barbets; je me suis secoué, et je partis. Un prophète, me suis-je dit à moi-même, n'a jamais moins de réputation qu'en son endroit natal.104-a Voilà justement pourquoi les catholiques se gardent bien de canoniser des saints avant que les compagnons de leurs débauches, leurs maîtresses, leurs pages et leurs fraters soient morts et bien enterrés.

<105>Pour une courte lettre, je vous en écris une fort longue; mais je suis trop paresseux pour l'abréger, et je vous prie de m'en pardonner l'ennui en faveur de la tendresse et de tous les sentiments avec lesquels je suis, etc.

Mes amitiés à Amélie.

9. AU MÊME.

Potsdam, 11 septembre 1746.



Mon cher frère,

Je ne m'étonne point que vous préfériez, à votre âge, la guerre réelle à celle que l'on fait dans son cabinet. Pour moi, je suis à présent pour cette dernière. L'autre nous coûte trop d'amis, trop de sang; elle est, à la longue, fatale à la partie victorieuse même, sans compter que l'on peut de sang-froid entendre décider sur le prince de Lorraine et sur le comte de Saxe, et que notre amour-propre n'a pas la même docilité sur les décisions qui nous regardent. J'ai fait la guerre avec des risques horribles pour l'État; j'ai vu ma réputation chanceler et se raffermir;105-a enfin, après avoir couru tant de hasards, je chéris les moments où je puis respirer. Quand on a la gloire de l'armée à cœur, on ne peut faire la guerre sans avoir l'esprit agité continuellement. L'on veut parer à tous les inconvénients, éviter jusqu'au moindre échec, et dérober par la prudence tout ce que l'on peut à la fortune. La vigilance et la capacité d'un homme ne suffisent pas pour embrasser des objets si étendus et si différents, et, après tout, on ne fait la guerre que pour parvenir à la paix. Le prince<106> de Lorraine est malheureux, cela suffit; chacun le contrôlera, chacun jettera sur lui la faute de ce qu'il n'est pas supérieur aux Français. Les Autrichiens font des retraites en Flandre, ils poursuivent les Espagnols en Italie; mais leurs victoires et leurs fuites les affaiblissent également, tandis que nous nous remettons de jour en jour. Laissons-leur la gloire de servir de canevas aux panégyriques des gazetiers, et jouissons des douceurs de la paix, qu'ils ne connaissent pas. Ma santé se rétablit de jour en jour, et si aucun accident ne m'arrive, je serai mardi à Berlin, où j'aurai le plaisir de vous embrasser, étant avec toute l'amitié et l'estime possible, etc.

10. AU MÊME.

Potsdam, 18 septembre 1746.



Mon très-cher frère,

Vous ne pouvez mieux employer le temps qu'à éclairer votre esprit et augmenter vos connaissances. L'état auquel votre sort vous appelle demande non seulement des intentions droites, mais encore une grande capacité. Je regrette tous les jours de ma vie que je n'ai pas voués à l'application et à l'étude. On ne peut assez perfectionner la justesse de son raisonnement, ni la pénétration de son esprit. L'histoire des temps passés sert de supplément à notre expérience, et l'on trouve dans ce répertoire d'événements des tableaux de tout ce qui peut arriver de nos jours. Des différentes espèces de livres qui se sont écrits, il y en a trois sortes, ce me semble, qui conviennent le mieux pour ceux que leur naissance destine à la politique : ce sont les livres qui concernent l'histoire, et qui se trouvent accompagnés de bonnes<107> réflexions, comme Tacite, Tite-Live, Plutarque, etc.; d'autres sont des livres de négociations, comme les Mémoires du chevalier Temple, les Lettres du comte d'Estrades, les Mémoires de Philippe de Comines, etc.107-a Les ouvrages de critique en tout genre sont de la troisième espèce. La critique, quand elle est judicieuse, est très-instructive; elle apprend à distinguer et à discerner le bon du mauvais, l'éclat de la vérité du fard de l'apparence; elle découvre avec un œil perçant la vérité sous le voile captieux d'un discours qui la cache; elle observe la connexion d'un discours, pèse la validité des raisons, et apprécie au juste le degré de probabilité qu'elles ont. Il y a une infinité d'ouvrages dans ce genre sur toutes sortes de sujets différents, et dont on peut faire un grand profit. Je vous demande pardon du long verbiage que je vous fais; le plaisir que j'ai de vous écrire me fait oublier que je vous ennuie. J'attends avec impatience le plaisir de vous embrasser, vous priant de me croire avec les sentiments les plus tendres, mon cher frère, etc.

11. AU MÊME.

Potsdam, 13 octobre 1746.



Mon cher frère,

Mes ouvrages méritent assez peu la peine d'être lus; je les compose107-b en partie pour mon amusement, et en partie pour que la postérité voie d'un coup d'œil mes actions et les motifs qui m'ont fait agir. J'ai<108> ouï faire tant de faux jugements sur les actions des princes, la plupart du temps manque de connaissance! Les circonstances rendent un lait injuste ou innocent; mais lorsqu'on ignore parfaitement ces circonstances, quel arrêt peut-on prononcer? Je ne demande ni louange, ni blâme; je ne veux qu'avoir sujet moi-même d'être satisfait de ma conduite et de n'avoir nul reproche à me faire. Du reste, on sait assez que l'on ne peut contenter tout le monde, qu'on a des envieux et des ennemis, et que la réputation est quelque chose de si frivole, qu'on voit le public changer de sentiment avec légèreté d'un jour à l'autre, blâmer le soir ce qu'il a applaudi le matin, faire des jugements si injustes, que je m'étonne, après cela, de voir des gens briguer des suffrages aussi frivoles et aussi méprisables.

Je vous demande pardon de la forte dose de morale que j'ai mise dans ma lettre; quelque vapeur de Sénèque m'est montée à la tête; mais je vous promets d'être plus gai la première fois que je vous écrirai, vous assurant de la tendresse sincère avec laquelle je suis, etc.

12. AU MÊME.

(Potsdam) 22 octobre 1746.



Mon très-cher frère,

Je viens de recevoir aujourd'hui quelque chose de bien agréable, qui est l'acte de garantie général de l'Angleterre sur la Silésie et toutes mes autres provinces.108-a Cette garantie, jointe à la bataille de Liége,108-b me rend de la meilleure humeur du monde. J'aurai le plaisir de vous<109> embrasser lundi, et, si vous voulez, pendant mon séjour de Berlin, nous consacrerons une soirée à la joie. Je vous embrasse, mon cher frère, et je suis, etc.

13. DU PRINCE DE PRUSSE.

Berlin, 13 février 1747.



Mon très-cher frère,

Comme les gazettes ne produisent point de fait sur lequel on puisse trouver des matières au raisonnement, je me bornerai, mon très-cher frère, à vous rendre la lecture de cette lettre le moins ennuyeuse qu'il me sera possible, en vous donnant une idée de la vie que je mène présentement. Les matins sont consacrés à la lecture, les dîners aux bons amis, les après-dînées au dessin et aux lectures amusantes, et les soirées pour faire la cour à la Reine-mère. Les cours, comédies et assemblées sont les seuls restes des beautés du carnaval; j'en profite en commémoration du passé. Voilà, mon très-cher frère, un court et vrai récit de ma façon de vivre. Fâché de ne pouvoir vous donner des nouvelles amusantes, et l'ennui que vous causeraient les compliments me les fait omettre, mais mon cœur, rempli de vénération, m'oblige de vous prier d'être persuadé que de ma vie et de mes jours je ne cesserai d'être avec le respect le plus profond, etc.

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14. AU PRINCE DE PRUSSE.

(Potsdam) ce 20 (février 1747).



Mon cher frère,

La fièvre m'a empêché de vous écrire ce matin; mais comme elle est passée à présent, j'en profite pour vous adresser ces vers que Voltaire fit pour Henri IV, prince que je puis vous comparer d'autant mieux, qu'il avait toutes vos qualités; il était aussi brave, aussi vertueux, et aussi .... que vous.

Ce héros vertueux se cachait à lui-même
Que la mort de son roi lui donne un diadème.110-a

Je vais mon chemin comme je le puis, tantôt fiévreux, et tantôt jouissant de quelque santé. Les experts disent qu'il faut que tout soit ainsi pour le plus grand bien de mon âme; je veux le croire; cependant je me serais bien passé de l'apoplexie110-b et de la fièvre. Pour cette fois-ci, je crois être réchappé de l'empire de Pluton; mais j'étais au dernier gîte du Styx, j'entendais déjà aboyer Cerbère, et j'apercevais déjà le vieux nocher des morts et sa barque fatale. Toutefois je vis encore, et je vis pour vous aimer et vous prouver en toute occasion combien je suis tendrement et avec une parfaite estime, etc.

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15. DU PRINCE DE PRUSSE.

Berlin, 21 février 1747.



Mon très-cher frère,

Les vers que vous me citez, mon très-cher frère, sur le sujet de Henri IV sont des chefs-d'œuvre de M. de Voltaire. Il exprime avec clarté l'élévation des sentiments de son héros. Vous me faites trop d'honneur, mon très-cher frère, en m'attribuant toutes les vertus de ce grand prince. Si je l'imite en quelque chose, c'est en me cachant à moi-même le chagrin d'avoir pu être privé par un moment fatal d'un roi, d'un frère et, si j'ose dire, de mon meilleur ami.

Henri IV se flattait peut-être avec raison de pouvoir, par sa vertu et son génie supérieur, surpasser son prédécesseur; mais, mon très-cher frère, je me trouve dans tout un autre cas; il n'y a rien à ajouter à la gloire que vous avez acquise à la nation prussienne. Je me connais trop pour me flatter, et je me fais plus d'honneur de vivre sous vos lois que de gloire de pouvoir être votre successeur.

Soyez persuadé, mon très-cher frère, que cet aveu est sincère, et conservez votre santé pour la consolation de ceux qui vous sont attachés, pour votre félicité, et pour le bien de vos sujets. Ce sont les sentiments avec lesquels je persévérerai jusqu'à la fin de mes jours, étant avec un profond respect, mon très-cher frère, etc.

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16. AU PRINCE DE PRUSSE.

Potsdam, 23 février 1747.



Mon cher frère,

Votre modestie vous tient lieu d'un nouveau mérite. L'orgueil et la vanité ternissent souvent l'éclat des qualités les plus brillantes; mais la modestie est le vernis de la vertu. Je n'irai point faire une comparaison de vous à moi. Ce que vous devez faire un jour n'est pas encore arrivé; mais je suis très-persuadé et même convaincu que vous vous acquitterez dignement de toutes les places que vous occuperez. Vous avez des talents, les meilleures intentions du monde, et vous vous appliquez; que faut-il davantage pour exceller dans quelque genre de métier qu'on choisisse?

Ma santé va beaucoup mieux à présent; la fièvre m'a quitté, je commence à reprendre des forces; mais je fais encore des remèdes par lesquels on me fait espérer de parvenir à une santé plus ferme et plus durable que celle dont j'ai joui jusqu'à présent. L'intérêt que vous prenez à ma personne est capable de m'attacher plus que toute autre chose à la vie. Je suis plus sensible à votre amitié qu'à tous les biens de la terre, et à tout ce que la vanité admire et à ce que l'erreur encense; continuez-moi ces sentiments, mon cher frère, et soyez persuadé du tendre retour avec lequel je suis, etc.

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17. AU MÊME.

Potsdam, 24 avril 1747.



Mon cher frère,

Je suis bien aise que vous ne regrettiez pas le temps que vous avez passé ici. Je n'attends qu'un temps moins occupé pour vous y voir une fois avec plus de liberté qu'à présent, et pour vous mettre au fait de toutes les choses qui regardent l'État; car, selon la forme de notre gouvernement, le Roi y fait tout, et les autres états exécutent, chacun dans leur détail, les affaires qui sont de leur ressort. Si donc le prince n'est pas foncièrement informé de la connexion de toutes les choses, il est impossible que l'État ne s'en ressente beaucoup; et comme, dans un événement imprévu, vous ne laisseriez pas d'être fort nouveau dans les affaires, malgré l'ordre et la clarté qui y règnent, faute de savoir la connexion intime que toutes ces parties ont les unes avec les autres, le temps que vous y sacrifierez pour vous instruire ne pourra que tourner à votre plus grand avantage. J'espère que vous serez convaincu par là même de l'amitié et de la confiance que j'ai en vous, et de tous les sentiments d'estime avec lesquels je suis, etc.

18. AU MÊME.

Potsdam, 19 juin 1747.



Mon très-cher frère,

Me voilà de retour de Magdebourg, où j'ai travaillé par tous les différents départements, militaire, fortification, économie, commerce,<114> justice et commissariat. En gros, j'ai tout lieu d'être satisfait; en détail, il y a toujours quelque chose à redire, et tandis que le monde existera, l'imperfection sera le partage de l'humanité. Je me repose ici avant que d'aller à Stettin et de vous voir; comme Stettin est si proche,114-a voulez-vous faire le voyage avec moi? Si cela vous convient, votre présence me fera grand plaisir. Je ne doute point que vous ne mettiez votre régiment sur un très-bon pied, et qu'il ne soit tout au mieux. Je vous prie de leur faire faire quelques mouvements et quelques dispositions de guerre, pour qu'ils n'en perdent point l'idée. Vous assurant, mon très-cher frère, de la parfaite tendresse et de tous les sentiments avec lesquels je suis, etc.

19. AU MÊME.

Breslau, 5 septembre 1747.



Mon très-cher frère,

J'ai bien cru que le congé de ma sœur fournirait une scène touchante; la sensibilité de son cœur et l'amitié qu'elle a pour ses parents ne permettent pas de faire de pareilles séparations sans douleur et chagrin. Je la crois présentement de retour à Baireuth, où la vue d'un mari, d'une fille, et d'une infinité de personnes qui lui sont attachées, la distrairont des idées fâcheuses d'une séparation douloureuse.

Je suis ici à me tracasser comme une âme maudite. Le gros de mon ouvrage est fini; il s'agit encore de quelques détails militaires<115> qui me restent, de quelques forteresses à examiner, de quelques revues à faire, et d'une centaine de lieues à parcourir. Je m'en suis tiré jusqu'à présent assez bien; mon âme fait aller mon corps, et je compte d'avoir fini toutes mes affaires et d'être avec cela de retour le 16 de ce mois. On ne remarque plus ici la guerre; la récolte abondante a entièrement fermé les plaies qu'avaient faites les incursions des Autrichiens.115-a J'ai trouvé beaucoup d'ouvrage achevé à Glogau; on ne travaille plus à Brieg, Cosel est en état de défense, Neisse achevé, Glatz hors d'insulte, et, l'année qui vient, on travaillera à Schweidnitz.115-b Voici la première et dernière lettre que je vous écrirai; je n'aurai plus d'assiette tranquille, car le reste de mon séjour en Silésie ne sera proprement qu'un voyage continuel. Je vous embrasse de tout mon cœur, mon très-cher frère, vous priant de me croire avec tendresse et amitié, etc.

20. AU MÊME.

Potsdam, 11 février (1748).



Mon très-cher frère,

Vous serez sans doute surpris en apprenant la nouvelle du jour; vous le seriez bien davantage, si vous en saviez toutes les circonstances. La Kriegesräthin a été mon ange secourable; aussi ai-je récompensé cette honnête créature, et je la regarde comme la fleur des ...

Ma sœur de Baireuth se porte mieux. L'armée de Brunswic va marcher dans quatre semaines; le Duc reçoit sept écus par mois pour<116> chaque homme. On va chercher des hommes chez lui, comme nos bouviers vont chercher des bœufs en Podolie, pour les égorger à la boucherie. Je suis indigné de ce procédé.

Je vous embrasse, mon cher frère, de tout mon cœur, vous priant de me croire avec la plus parfaite tendresse, etc.

21. DU PRINCE DE PRUSSE.

Berlin, 12 février 1748.



Mon très-cher frère,

J'ai été extrêmement surpris des nouvelles que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, mon très-cher frère. La mauvaise action que M. de Walrave a commise116-a me confirme encore plus que jamais dans l'opinion que l'intérêt est la mère de tous les vices, et que les personnes qui y sont enclines oublient souvent les sentiments d'honneur pour assouvir leur infâme passion.

Les gazettes ont longtemps annoncé la donation des troupes du duc de Brunswic au service des Hollandais. Il est triste que le sang des hommes soit ainsi mis à l'encan; mais comme bien d'autres abus se sont introduits dans le monde, celui-ci a d'autant plus eu de facilité, à cause du gain qu'il rapporte. Je crois que l'avancement au<117> maréchalat du prince Louis aura été un des principaux motifs qui aura déterminé le Duc.

Toute expression ne serait suffisante pour vous marquer les sentiments de vénération, d'attachement et, si j'ose dire, d'amitié que je vous porte. Soyez persuadé, mon très-cher frère, qu'ils ne me quitteront qu'à la fin de ma vie, étant, etc.

22. AU PRINCE DE PRUSSE.

(Potsdam) 4 mars 1748.



Mon cher frère,

Je vous envoie une petite provision de vin d'absinthe que j'ai reçu de Hongrie. C'est un présent aigre-doux et fort ridicule dans le fond; mais comme j'aime à partager tout ce que j'ai avec mes amis, et que je n'en ai point de meilleur que vous, je l'ai envoyé, au hasard de vous déplaire.

Je travaille ici comme un malheureux à polir un ouvrage117-a qui, malgré toutes mes peines, ne veut pas encore prendre le tour que je voudrais. Vous me direz : Pourquoi ne le quittez-vous? C'est par l'inflexible opiniâtreté que j'ai de vouloir réussir, et qu'il n'y a de vrai plaisir dans le monde que de venir à bout des difficultés qui nous arrêtent.

Vous saurez sans doute que la Tettau117-b épouse le capitaine Saldern,<118> de mon régiment; c'est un mariage sensé, et je crois qu'il sera accompagné de tout le bonheur que je leur souhaite.

Nos opéras-comiques commenceront cette semaine; les acteurs doivent arriver incessamment. Je vous embrasse mille fois, mon cher frère, vous assurant de la parfaite tendresse avec laquelle je suis. etc.

23. AU MÊME.

Sans-Souci, 19 juin 1748.



Mon très-cher frère,

Je vous envoie enfin un ouvrage118-a que je vous ai promis depuis longtemps; ce sont les fruits de nos campagnes et de mes réflexions. Je l'ai travaillé avec toute l'application dont je suis capable, et je trouverai mes peines richement récompensées, si je puis me flatter que ce livre vous sera utile un jour. Ce n'est pas moi, mon cher frère, qui y parle, mais c'est l'expérience que d'habiles généraux ont eue, ce sont les maximes que pratiquèrent toujours les Turenne, les Eugène et le prince d'Anhalt, et que j'ai suivies quelquefois, lorsque je me suis conduit prudemment. Si vous trouvez que j'exige beaucoup d'un général, c'est qu'il est toujours bon de viser à la perfection, et de demander beaucoup pour obtenir quelque chose. Je sais d'ailleurs aussi bien qu'un autre que le caractère d'imperfection qui nous est imprimé à tous nous empêche d'atteindre à la grandeur du tableau que je vous présente; mais il n'en est pas moins sûr que, en élevant sans cesse l'esprit à des choses parfaites, si ce n'est pas le moyen de les égaler, c'est du moins celui de devenir modeste. J'ai traité toutes les grandes parties de la guerre; il n'en est aucune que j'aie omise, et<119> quant aux petits détails, je les renvoie à mes Institutions militaires,119-a qui sont entre les mains de tous nos officiers. Il n'est peut-être aucun art sur lequel on ait tant écrit de livres que sur celui de la guerre. Je les ai presque tous lus; mais je puis vous assurer hardiment que vous ne trouverez dans aucun de ceux-là des choses aussi précises et aussi applicables à la nature de notre militaire que celles que j'ai rassemblées dans cet ouvrage. Cette lettre n'est point une préface. En vous envoyant mon livre, je vous en constitue le juge. Si vous le trouvez instructif, vous le lirez; sinon, vous le brûlerez. La seule chose que je vous demande, et dont je vous conjure, c'est de ne le montrer à personne, et de prendre le don que je vous en fais comme la plus grande marque d'amitié que je pouvais vous donner.

Demain je prendrai les eaux pour la dernière fois, ensuite de quoi je ferai encore quelques remèdes avant que de partir pour Magdebourg. Faites, s'il vous plaît, mes compliments à mon frère, et daignez ajouter foi à la tendresse des sentiments avec lesquels je serai à jamais, etc.

24. AU MÊME.

Potsdam, 24 juin 1748.



Mon très-cher frère,

Je suis bien aise que mon ouvrage sur la guerre vous ait fait plaisir. Vous y trouverez sans doute beaucoup de choses que vous saviez déjà, et que vos propres réflexions vous ont suggérées; mais il y a une différence de faire des réflexions qui passent et qui s'effacent de<120> la mémoire, et de rassembler en un corps celles qu'on a faites au sortir d'une guerre dont tout l'esprit est encore plein. J'ai cru que mon loisir ne pouvait pas être mieux employé qu'à faire quelque chose d'utile, et si cet ouvrage peut vous être agréable, je me croirai suffisamment récompensé. Je pars cette nuit pour Magdebourg, où les régiments entreront demain dans le camp. Je serai de retour ici dimanche, et je prendrai du repos pendant quelques jours, espérant de vous embrasser le 4 ou le 5 du mois prochain, à Berlin. Adieu, mon cher frère; je suis, etc.

Daignez faire mes compliments à ma sœur Amélie et à Henri.

25. AU MÊME.

Potsdam, 11 mars 1749.



Mon cher frère,

Je suis bien étonné de tout le bruit que l'on fait à Berlin. Je ne conçois pas qui leur a mis la mouche à l'oreille; nous ne faisons que des préparatifs de défensive. Les autres campent, et personne n'en dit rien; nous rassemblons nos congédiés, et tout le monde crie. Je n'ai pas pu faire autrement, et les circonstances dans lesquelles je me trouve m'obligent de prendre des précautions à tout hasard; et peut-être en est-ce précisément le temps.120-a Conservez-moi, mon cher frère, votre précieuse amitié, et soyez persuadé de la tendresse infinie avec laquelle je suis à jamais, etc.

<121>

26. AU MÊME.

Ce 5 (juin 1749).



Mon très-cher frère,

Je suis bien aise que vous vous amusiez à votre régiment. Je ne sais pas si vous ne commencez point trop tôt à faire des manœuvres, car il faut qu'il n'y ait plus rien à redire à l'exercice avant que d'en venir là. Le comte de Saxe a sans doute fait des dispositions comme les vôtres, avant que de faire celle de Laeffelt. Vous êtes né pour donner des batailles et pour les gagner; pour moi, je ne dois les succès des nôtres qu'à la bonté de l'armée. Je vous envoie du fruit, mon cher frère, pour vous rafraîchir de vos fatigues. Quelles nouvelles un pauvre goutteux peut-il vous mander, qui ne bouge de son fauteuil? Je me contente de faire des vœux pour votre contentement, et de vous assurer de la parfaite tendresse avec laquelle je suis, etc.

27. AU MÊME.

Le 20 février 1750.



Mon cher frère,

J'ai reçu votre lettre avec bien du plaisir. Je vous vois tout occupé de finances. Il est très-bon que vous vous informiez de tout, et que vous sachiez tout ce qui se passe; et vous me ferez même plaisir de vous y appliquer davantage, car un prince de cette maison qui, comme vous, est appelé à régner un jour ne doit pas être novice dans ces matières; il faut qu'il soit au fait de tout pour pouvoir tra<122>vailler par lui-même, et toute l'étude que vous ferez à présent vous abrégera autant de chemin dans l'avenir. Quoique je puisse travailler, il restera encore après ma mort bien des bonnes choses à faire, et si vous êtes informé de l'intrinsèque des affaires, et que vous en connaissiez les combinaisons, vous pourrez avoir cette gloire.

Ma lettre vous paraîtra peut-être trop sérieuse; mais, mon cher frère, il faut absolument faire des réflexions et vous préparer à l'emploi auquel le ciel vous destine, et il ne faut jamais que le plaisir dérange les choses de devoir; elles sont les premières. On est aussi indifférent pour un homme mou que le monde estime l'homme utile; et quelque esprit qu'on peut avoir, on n'avance pas sans application. Mais il me semble déjà que ma morale vous ennuie très-fort, et que vous donnez le vieux frère au diable. Je n'en suis pas moins avec bien de l'estime, etc.

28. AU MÊME.

(Avril 1750.)



Mon cher frère,

Je vois par votre lettre que vous voulez m'engager dans un long procès. Souffrez que je vous dise que j'en vois trop les conséquences pour que j'aie l'imprudence de m'y engager avec vous. Si vous voulez encore accepter un conseil que mon amitié vous donne, c'est de ne pas trop remuer une affaire qui à la fin pourrait devenir fâcheuse. J'ai tous les égards convenables pour vous; je ne veux point vous chagriner par ma faute. Il n'y a que l'article du militaire, qui m'importe trop pour que je puisse y admettre des ménagements pour<123> personne. Quand mes frères donnent le bon exemple aux autres, ce m'est la plus sensible joie du monde, et quand cela n'est pas, j'oublie en ce moment toute parenté pour faire mon devoir, qui est d'entretenir tout en ordre pendant ma vie; après ma mort, vous en userez comme vous le voudrez, et si vous vous écartez des principes et du système que mon père a introduits dans ce pays, vous serez le premier qui vous en ressentirez. Voilà en peu de mots tout ce que je puis vous dire. Au reste, nous sommes bons amis, et je vous prie de me croire avec bien de l'estime, etc.

29. AU MÊME.

Ce 25 (septembre 1751).



Mon cher frère,

Grand merci de vos lettres. Je vous ai répondu par des pêches; elles valent mieux que tout ce que je pourrais vous écrire.

Voici l'Instruction que j'ai minutée pour l'éducation de votre fils aîné.123-a Si vous trouvez quelque chose à retrancher ou à y ajouter, vous aurez la bonté de me le marquer et de me renvoyer mon original, pour qu'ensuite je puisse le remettre à Borcke, et qu'il soit en état de commencer sa fonction.

Je suis avec la plus parfaite tendresse, mon très-cher frère, etc.

<124>

30. DU PRINCE DE PRUSSE.

Berlin, 25 septembre 1751.



Mon très-cher frère,

J'ai l'honneur de vous remettre l'Instruction, où je trouve que vous avez touché tous les articles qui peuvent concourir à l'éducation la plus parfaite. Certainement, mon très-cher frère, je vous dois toute l'obligation, si cet enfant acquiert des qualités qui le rendent digne d'estime. J'espère que le comte Borcke lui fera reconnaître journellement que, s'il veut parvenir au point de perfection où se borne l'esprit humain, et qu'il ne saurait passer, mais que vous avez atteint à force d'application, il doit suivre vos sages préceptes, et ne se croire heureux que lorsqu'il pourra reconnaître par son attachement l'obligation qu'il vous doit. C'est à moi, en attendant, de m'acquitter de son devoir, et de combiner les sentiments qu'il vous doit à ceux du respect inviolable et du zèle le plus parfait que je vous porte, et qui ne me quitteront qu'avec ma vie, ayant l'honneur d'être, etc.

31. AU PRINCE DE PRUSSE.

Potsdam, 27 septembre 1751.



Monsieur mon frère,

Voici un exemplaire de l'Instruction pour le major comte de Borcke, pour l'éducation de votre fils aîné, dont je vous ai déjà entretenu<125> moi-même. J'espère que vous voudrez bien en faire votre usage, étant avec l'amitié la plus parfaite, etc.125-a

Je vous envoie, mon cher frère, une copie de l'Instruction de Borcke, afin que vous puissiez voir vous-même si on la suit, ou non. Je vous embrasse mille fois.125-b

32. AU MÊME.

(Potsdam) ce 12 (février 1753).



Mon cher frère,

Ce n'est pas par un privilége de notre famille que vous trouvez tant de fermeté dans ma sœur de Baireuth;125-c c'est, mon cher frère, par la philosophie qu'elle s'est élevé l'âme au-dessus des infortunes auxquelles la condition humaine est exposée. Ce sont là les vrais secours que nous tirons des réflexions, de dépouiller tous les objets de leurs attraits, et de les priser au juste; et, dans ce sens, la plupart des malheurs qui arrivent aux hommes ne sont pas aussi grands qu'ils se les font eux-mêmes. Il n'y a que la perte des personnes qu'on aime qui soit réelle et irréparable; et cependant, à ce mal même, la philosophie y apporte des secours; avec son aide et avec celle du temps, on<126> parvient à adoucir une douleur trop vive qui dégraderait l'homme, s'il s'y abandonnait en lâche. Mais, malgré tous nos efforts, il faut avoir quelque indulgence pour la vivacité des premiers moments, et penser que les faiblesses d'un cœur sensible sont préférables à l'inhumaine dureté des stoïciens.

Ne pensez pas qu'aux folies du chevalier Folard j'aie ajouté les miennes; je n'ai fait que choisir encore quelques morceaux intéressants que Seers avait peut-être oublié de tirer de son ouvrage, et je les ai fait joindre aux autres; de sorte que, avec ce petit abrégé, on peut porter tout le bon sens du chevalier Folard dans sa poche, et je crois même qu'il peut à présent devenir utile à nos militaires avides de s'instruire.126-a C'est à quoi je pense sans cesse, et je voudrais bien qu'on ne pût me faire aucun reproche sur la discipline de l'armée, sur son entretien, sur l'instruction des officiers, et sur tous les arrangements préliminaires à une guerre que mes facultés me permettent de prendre en temps de paix. Cela fait, j'attendrai tranquillement les événements, et, s'il faut dégaîner, on nous trouvera au moins préparés et en état de soutenir la réputation du nom prussien. Je suis, etc.

33. AU MÊME.

(Potsdam) ce 18 (mai 1753).



Mon cher frère,

Je suis charmé de ce que vous voulez être du voyage de Prusse. Il est très-nécessaire que vous connaissiez et voyiez un pays que vous<127> devez gouverner un jour, et que vous vous renouveliez l'idée des officiers et des régiments qui sont dans les provinces. Tout est déjà ordonné pour les chevaux, et nous partirons le 1er du mois qui vient. Je suis, etc.

34. AU MÊME.

Ce 11 (août 1754).



Mon cher frère,

Je vous ai déjà parlé l'année passée de votre fils cadet; mais, à vous dire vrai, la multiplicité d'affaires m'avait fait perdre cet objet de vue. Je serai bien aise que vous me proposiez différentes personnes, pour que l'on voie lequel conviendra le mieux au petit. Comme je serai avant la fin du mois à Berlin, je vous prie de m'en parler alors; cela pourra se régler tout de suite. Vous priant de me croire avec bien de l'amitié, etc.

Votre aîné a été malade, il a eu une ébullition de sang que les médecins disent la petite vérole; pour moi, je l'ai prise pour une ébullition de sang ordinaire. Il est tout à fait remis, et sort comme auparavant.

<128>

35. AU MÊME.

Ce 21 (août 1754).



Mon cher frère,

Je vous suis fort obligé des nouvelles de Spandow que vous m'avez données. Nous aurons lundi l'honneur de vous y rendre nos devoirs. Je tâche d'éveiller votre fils, et comme il est un peu timide, j'ai dit à tous ceux qui viennent chez moi de l'agacer pour le faire parler, et je suis persuadé que dans peu il ne se trouvera embarrassé avec personne.

Je pense sur le sujet du pauvre Hacke128-a comme vous, mon cher frère; il n'était pas brillant, mais il s'était rendu utile, et ces sortes de gens font, dans le fond, plus de bien à un État que des gens d'une très-bonne éducation qui ont un esprit superficiel, ou qui manquent d'application. Nous avons manœuvré aujourd'hui, et cela a été à merveille. Les petites choses ne sont pas aussi exactes qu'au printemps; mais, en revanche, tout ce qui est de la besogne de l'officier va mieux. Je vous embrasse de tout mon cœur, en vous priant de me croire avec une parfaite tendresse, etc.

<129>

36. AU MÊME.

Ce 2 (octobre 1754).



Mon cher frère,

Je vous suis fort obligé de votre obligeant souvenir. Je suis à présent à me raccoutumer à une vie bourgeoise et unie, et à vivre à ma façon, après avoir vécu six mois selon que ce temps-là l'exigeait. J'ai pensé à mettre votre régiment d'infanterie129-a plus ensemble, comme vous l'avez désiré souvent, et cela se peut faire à présent très-bien, puisque Nauen est vide, où vous pouvez mettre commodément quatre à cinq compagnies; moyennant quoi les bataillons restent ensemble, le régiment se trouve à portée d'être rassemblé dans six heures, et l'ordre, la subordination et la conservation des troupes s'ensuivra nécessairement. Je vous embrasse, mon cher frère, en vous assurant de la tendresse avec laquelle je suis, etc.

Votre petit commence à s'enhardir; il aime beaucoup la chasse du blaireau. C'est sa récréation quand il a bien appris.

37. AU MÊME.

(Potsdam) ce 8 (avril 1756).



Mon très-cher frère,

Je vous vois occupé, dans votre garnison, de lectures toutes militaires, adaptées aux occupations journalières. Vous lisez les Mémoires<130> de M. de Luxembourg; il y a deux choses que j'y admire : la vigilance à tout voir par ses yeux, et son coup d'œil pour prendre un parti décisif dans les batailles. C'était un homme supérieur en tout genre, qui ne faisait aucune manœuvre en vain, et qui pensait plutôt à mener toute une campagne à la fin qu'il voulait qu'à faire un coup d'éclat inutile. Il est sûr que, dans l'oisiveté où nous sommes, nous ne pouvons suppléer à l'expérience que par la théorie du passé; mais ce qui avait formé ces hommes supérieurs du siècle passé, c'était une pratique non interrompue du même métier, qui souvent les rendait habiles à leurs propres dépens et à ceux de leur maître. Il ne nous reste que les camps de paix, où nous pouvons acquérir la routine de la tactique, mais où il nous est interdit d'atteindre aux grandes parties de la guerre, qui sont les projets de campagne et les résolutions subites qui redressent les fautes qu'on a faites. Le temps nous est si contraire, que jusqu'à présent nous n'avons pu exercer les éléments de la guerre; nous avons formé les bataillons, mais nous n'avons pas pu seulement exercer par divisions, et je crois que cette semaine sera perdue par le mauvais temps.

Ma sœur Amélie est partie hier pour son abbaye;130-a il m'a semblé que ce voyage l'amusait beaucoup. Mon frère Henri a pris la colique, mais elle est presque passée. Quant à moi, je vous prie de me croire avec une parfaite estime, etc.

<131>

38. AU MÊME.

(Potsdam) ce 15 (avril 1756).



Mon cher frère,

On ne peut pas toujours faire la guerre, ni toujours avoir la paix; une belle science serait de faire tout à propos. Les États se gouvernent par des principes d'intérêt, et lorsque ceux-là ne s'accordent pas avec leurs vues d'agrandissement, ce serait insensé de perdre les troupes et l'argent (deux choses difficiles à retrouver), pour n'avoir que le plaisir de ferrailler. Plus les années deviendront nombreuses, et moins la guerre se fera, parce que les ressources ne seront pas proportionnées aux dépenses. Cependant jusqu'à présent il n'y a que la France et l'Angleterre en jeu;131-a la guerre ne se fait point sur notre continent, et tous nos voisins sont aussi tranquilles que nous, de sorte que, à mettre les choses au pis, leur expérience ne surpassera pas la nôtre. Il n'y a qu'à attendre; je ne crains point de ne point voir la guerre, elle nous attend; il ne s'agit qu'à ne se point presser et à prendre ses avantages. M. de Luxembourg et les grands généraux qui ont illustré le siècle de Louis XIV s'étaient formés dans la guerre civile. Cette école serait trop dangereuse pour que nous souhaitions d'en former à cette condition. Nous ne manquons point d'officiers remplis de talents; une bonne école les prépare, et la guerre les développera d'autant plus vite. Il n'y a qu'à avoir patience et voir venir. Vous assurant de l'amitié avec laquelle je suis, etc.

<132>

39. AU MÊME.

(Potsdam) ce 12 (mai 1756).



Mon cher frère,

Je suis bien aise de ce que vous commencez à être content de l'exercice de votre régiment.132-a Je ne doute point que tout ne soit au mieux. Nous faisons ici de même, pour renouveler les anciennes traces de la guerre, et pour perfectionner ce qu'il y a de défectueux dans l'attention du soldat et l'intelligence de l'officier. Nous avons ici le Mitchell anglais,132-b qui est un très-bon homme, qui paraît fort au fait des affaires de son pays, et qui ne manque pas d'esprit. J'espère, mon cher frère, d'avoir le bonheur de vous voir bientôt, et de vous assurer de la tendresse avec laquelle je suis, etc.

40. AU MÊME.

(Potsdam) ce 17 (juillet 1756).



Mon cher frère,

Je ne m'étonne point que vos officiers qui reviennent de recrues ne sachent pas ce qui se passe au conseil de la reine de Hongrie. Elle n'envoie les ordres à ses troupes que pour exécuter, et, si ce n'est les maréchaux, personne ne sait ce qui se passe. En attendant, des magasins se font, des munitions s'assemblent en Moravie, en Bohême;<133> des régiments de Hongrie sont en marche pour entrer dans les deux camps, dont l'un doit être de soixante mille hommes, et l'autre de quarante mille. Les troupes qui sont en Bohême et en Moravie demeurent tranquilles dans leurs quartiers, jusqu'à ce que les autres les aient jointes. Les camps ne se formeront qu'après la moisson. Voilà des choses positives. On m'assure, d'ailleurs, que des troupes d'Italie se sont mises en marche pour se joindre aux autres, et les nouvelles secrètes me font envisager la guerre comme inévitable. Si tout cela n'en est pas assez, vous aurez la bonté de vous donner un peu de patience, et vous verrez que je n'ai point pris une vaine alarme.133-a Je vous embrasse, mon cher frère, en vous priant de me croire avec une parfaite amitié, etc.

41. AU MÊME.

(Potsdam) ce 9 (août 1756).



Mon cher frère,

Je prends trop de part à votre jour de naissance pour ne vous en pas féliciter. Je vous prie d'accepter ce tableau;133-b il représente un paysage agréable; j'espère qu'il sera comme l'augure du sort qui nous est destiné. Conservez-moi toujours votre amitié, et soyez persuadé des sentiments de tendresse avec lesquels je suis invariablement, etc.

<134>

42. AU MÊME.

(Potsdam) ce 25 (août 1756).



Mon cher frère, ma chère sœur,134-a

Je vous écris à tous les deux, faute de temps. Je suivrai les conseils que vous avez eu la bonté de me donner, et je prendrai congé de la Reine134-b par écrit; et pour que la lecture de ma lettre ne l'effraye pas, je l'enverrai à ma sœur, qui aura la bonté de la rendre dans un moment favorable. Je n'ai point encore de réponse de Vienne; je ne la recevrai que demain, selon ce que Klinggräff134-c me mande. Mais je crois être plus sûr de la guerre que jamais, à cause que les Autrichiens ont nommé des généraux, et que leur armée doit marcher de Kolin à Königingrätz; de sorte que, m'attendant à une réponse ou fière, ou très-peu sûre, sur laquelle on ne pourra pas se reposer, j'ai tout arrangé pour partir samedi. Demain, dès que j'en saurai davantage, je ne manquerai pas de vous le mander. Vous assurant que je suis avec une parfaite tendresse, mon cher frère, ma chère sœur, etc.

43. AU MÊME.

(Potsdam) ce 26 (août 1756).



Mon cher frère,

J'ai déjà écrit à la Reine, en adoucissant les choses autant qu'on peut les adoucir; ma sœur, à qui j'ai adressé la lettre, la lui remettra.

<135>Vous avez vu la pièce que j'ai envoyée à Klinggräff. Leur réponse est qu'ils n'ont point fait contre moi d'alliance offensive avec la Russie. La réponse est impertinente, haute et méprisante, et pour les sûretés que je leur demande, pas un mot; de sorte que l'épée seule peut couper ce nœud gordien.135-a Je suis innocent de cette guerre, j'ai fait ce que j'ai pu pour l'éviter; mais, quel que soit l'amour de la paix, il ne faut jamais y sacrifier sa sûreté et son honneur. C'est, je crois, de quoi vous conviendrez, vu les sentiments que je vous connais. A présent, il ne faut penser qu'à faire la guerre de façon à faire perdre à nos ennemis l'envie de rompre trop tôt la paix. Je vous embrasse de tout mon cœur. J'ai eu terriblement à faire.

44. DU PRINCE DE PRUSSE.

Berlin, 27 août 1756.



Mon très-cher frère,

La lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire hier m'a mis au fait de la réponse de Vienne et de votre résolution. Je souhaite que votre santé et votre vie soient conservées. Voilà le principal article; votre esprit et la valeur des troupes feront le reste. Je me souviens que Montécuculi dit dans ses Mémoires que tout le mal qu'on prévoit à la guerre n'arrive pas, et que le bien qu'on espère manque de même souvent, en dépit des meilleurs arrangements. Mais l'art consiste à trouver les moyens de redresser les choses par la force d'esprit, qui fait naître les moyens.135-b Voilà ce qui ne vous a jamais manqué, mon<136> très-cher frère, et ce qui fait que l'armée sous vos ordres sera en sûreté, et assurera celle de l'État. Heureux si je puis contribuer par mon zèle au bien-être de la patrie et à votre gloire! Soyez persuadé, mon très-cher frère, que c'est le but où se borne mon ambition.

La Reine se porte bien; elle affecte de la fermeté, elle la soutient devant le monde; mais en particulier son cœur pâtit. Ma sœur fera venir le médecin,136-a et prendra toutes les précautions pour que sa santé soit conservée.

J'ai l'honneur d'être, etc.

45. DU MÊME.

Camp de Budin, 23 juin (1757).



Mon très-cher frère,

Vous verrez, mon très-cher frère, par la relation du maréchal,136-b que vos ordres ont été exécutés. Les troupes ont marqué toute la valeur et bonne volonté possible, et l'ennemi n'aura pas sujet de se vanter d'avoir pu les décontenancer par son nombre, par son canon, ni par ses cris de joie. Jusqu'à présent, la désertion a été moins forte que je ne l'ai cru, et si les troupes légères ne nous rendent pas les vivres trop difficiles en nous tournant, ce qui paraît être leur intention, vous pouvez vous assurer de bons services de tous les régiments, qui, pour la plupart, sont forts. Nous avons presque sauvé tous nos blessés de l'arrière-garde; le colonel Bülow136-c est du nombre, mais pas dangereusement, de même que le capitaine Stechow, des grenadiers<137> de mon régiment. Voilà, mon très-cher frère, ce qui me reste à vous dire sur cette marche. Nous occupons à présent le camp que vous avez pris l'année 44,137-a qui est très-fort.

J'ai l'honneur d'être avec le plus profond respect, jusqu'à la fin de mes jours, etc.

46. AU PRINCE DE PRUSSE.

(Alt-Bunzlau) ce 24 (juin 1757).



Mon cher frère,

Depuis que nous nous sommes vus, les choses ont bien changé;137-b il faut tâcher de les remettre et de combattre pour la patrie dès que l'occasion favorable s'en présentera. Votre arrière-garde a été bien faite; je ne regrette que les mille hommes qui en ont été le sacrifice.137-c Mon grand embarras est à présent de savoir où est l'armée de Léopold Daun; je compte marcher avec un renfort à Leitmeritz, vous joindre. J'y ai déjà envoyé beaucoup de cavalerie. Je vous destine le commandement de cette armée-ci,137-d qui doit couvrir l'Elbe primo, et, si aucun bon succès ne nous seconde, se retirer vers l'hiver en Silésie. Un bon quart d'heure peut nous rendre la supériorité sur nos ennemis; mais s'il nous manque, il faut combattre jusqu'à la fin pour le salut de l'État. Adieu, mon cher frère; je vous embrasse de tout mon cœur.

<138>

47. DU PRINCE DE PRUSSE.

Camp de Leitmeritz, 25 juin (1757).



Mon très-cher frère,

L'honneur que vous voulez bien me faire, mon très-cher frère, en me donnant le commandement des troupes qui doivent couvrir l'Elbe, étant une marque de votre confiance, m'est des plus sensibles; j'en ressens la plus vive reconnaissance. Soyez persuadé, mon très-cher frère, que mon but sera accompli, si, par mon application, je puis parvenir à remplir vos intentions et à mériter vos suffrages.

Je souhaite que des événements heureux vous soulagent bientôt des chagrins que les revers d'à présent vous causent. Le maréchal vous aura marqué les raisons qui l'ont porté à occuper le camp de Leitmeritz.

J'attends avec impatience le bonheur de vous faire ma cour. Nous espérons tous que la fin de la campagne sera aussi heureuse que le commencement l'a été, et personne ne doute que l'armée sacrifiera la dernière goutte de son sang plutôt que de perdre l'honneur et la gloire qu'elle s'est acquis sous vos ordres.

J'ai l'honneur d'être avec le plus profond respect, jusqu'au tombeau, etc.

48. DU MÊME.

Camp de (Jung-) Bunzlau, 2 juillet 1757.

Le prince Maurice vous fera un rapport exact de notre situation présente et de l'impossibilité de garder plus longtemps ce camp. Le<139> manque d'eau, de fourrage et de vivres en fait la cause principale; de plus, les avis qui nous viennent de tous côtés, que l'armée du prince Charles a passé Brandeis, tandis que celle de Daun est campée à Lissa, et le corps de Nadasdy à Stranow, par quoi les vivres et communications sont coupés. Je me vois par conséquent obligé de prendre un autre camp, tout aussi sûr, mais mieux situé que celui entre Holan et Neuschloss. Le général Winterfeldt est détaché pour découvrir des nouvelles; j'attends son rapport pour régler la marche. Je ne reçois plus de lettres de votre part; ainsi je ne doute pas que les chasseurs seront enlevés. Soyez persuadé, mon très-cher frère, qu'on ne néglige rien de ce qui pourra remplir vos intentions et contribuer au bien-être de l'armée. J'ai l'honneur d'être avec le plus profond respect, jusqu'au tombeau, etc.

49. AU PRINCE DE PRUSSE.

(Leitmeritz) ce 3 (juillet 1757).

Je vous envoie le rapport que j'ai reçu d'un homme véridique. Il sera bon que vous marchiez à Hirschberg, pour que nous soyons plus à portée de nous joindre. Je suis, etc.

Outre ce billet, les Archives en conservent un autre du même jour, qui ne contient que les mots suivants :

Le 3 juillet (1757).

Il faut marcher à Hirschberg.

Fr.

<140>

50. DU PRINCE DE PRUSSE.

Camp de Neuschloss, 4 juillet 1757.



Mon très-cher frère,

Le billet est heureusement arrivé. J'avais pris le camp de Hirschberg, ne pouvant d'une traite atteindre celui-ci, à cause que la quantité d'équipages arrêtait infiniment la marche. Nonobstant, nous n'avons perdu aucun chariot, et, de l'arrière-garde, qu'un homme de Le Noble.140-a J'ai pris ce camp, qui est à un petit mille de Hirschberg, puisqu'il est très-propre pour l'armée, dans les circonstances présentes, qui pourra y être en repos, et ne manquera pas de vivres. J'enverrai reconnaître la ville de Leipa par un officier ingénieur, et la force du détachement qui doit y être sera réglée en conséquence du rapport. En occupant cette ville, les subsistances seront assurées, et nous gagnerons du terrain pour les fourrages. J'écris aujourd'hui au général Brandeis, pour qu'il hâte autant que possible sa marche. Le général Rebentisch pourra augmenter son escorte en le joignant à Zittau, où le prince Maurice l'a envoyé, et le bataillon de Plötz restera à Görlitz, pour garder les blessés. Il amènera un bataillon de Kalckreuth et cinq escadrons de Werner avec le colonel. Il laissera à Zittau, pour la garde du magasin, un bataillon de pionniers, et le régiment de Kurssel dans ces contrées. Il y a de tous les côtés de petits détachements de hussards et pandours, mais de l'armée de Daun nous n'avons d'autre nouvelle que celle qu'un trompette nous a donnée. Vous verrez que la lettre est encore datée de Lissa. Je ferai reconnaître, s'il est possible, les chemins à Leitmeritz, à Zittau et, par Aicha, à Hirschberg en Silésie, afin d'être préparé à tout événement. Le prince Maurice m'a marqué l'arrivée du général Bülow, avec son convoi, à Pleiswedel; aujourd'hui le général Meinike le<141> conduira ici, et, pour faciliter sa marche, j'ai suivi l'avis du prince Maurice, et commandé le major Lottum, de mon régiment, avec un bataillon, à Drum, ce qui couvre d'autant mieux le chemin. Le pillage des femmes et valets est horrible, et, pour le bien de l'armée, je crois qu'il sera nécessaire de faire un exemple pour les retenir et remettre en ordre.

J'ai l'honneur d'être avec le plus profond respect, jusqu'au tombeau, etc.

51. AU PRINCE DE PRUSSE.

Leitmeritz, 3 juillet 1757.



Mon très-cher frère,

Vous ne pouvez plus vous retirer du côté de la Silésie; il ne vous reste que la Lusace. Il faut faire fourrager toutes les contrées, et même gâter ce qu'on ne peut consommer, pour rendre à l'ennemi ses opérations difficiles. Dès que vous serez à Hirschberg, notre communication sera mieux établie. Il faut tâcher de soutenir la Bohême, s'il est possible, jusqu'au 15 d'août; et comme Zittau est un mauvais poste, vous pouvez prendre alors Reichenberg, Krottau ou Gabel, selon que vous le jugerez à propos. Si l'ennemi se tourne contre la Lusace, il faut prendre grande attention à vos campements, le laisser passer le Bober, et vous mettre à son dos, pour lui couper les vivres et l'obliger de venir à vous dans un terrain avantageux que vous choisirez, et que le prince Bevern et d'autres officiers pourront vous indiquer. Si l'ennemi se tourne avec toutes ses forces vers Landeshut, il faut marcher par Greiffenberg pour lui couper les vivres.<142> Winterfeldt et surtout Embers142-a connaissent le pays, qui peuvent régler vos marches et vos campements. Ne précipitez rien sur des nouvelles incertaines, et ne prenez de parti que lorsque vous êtes sûr du dessein des ennemis; mais répandez dans l'armée que nous avions un grand dessein, et que dans peu on verrait tout à fait changer les choses en bien.

52. AU MÉME.

Leitmeritz, 5 juillet 1757.



Mon très-cher frère,

Je ne saurais que parfaitement applaudir au camp que vous avez pris; il est tout à fait conforme à mes idées dans les circonstances présentes. Comme je suis informé que l'ennemi a un dessein sur Tetschen, il faut être bien vigilant, pour que rien ne passe entre l'Elbe et votre camp. En cas que quelque corps de l'ennemi se glissât entre deux, un corps qui marcherait vers Panzen pourrait l'obliger de quitter ce dessein. Dans le cas que toute l'armée ennemie viendrait sur moi à Leitmeritz, et que cela pourrait nous obliger de nous y joindre, j'ai trouvé un camp, entre Ploschkowitz et Zahorzan, qui est très-fort; mais il ne faut pas que ce mouvement se fasse sans une nécessité très-pressante et forte.

J'ai eu des rapports que le prince Charles était marché à Wittendorf, dont cependant je ne crois rien. Quand vous aurez à m'en voyer quelque chose de pressant pour m'en avertir, vous n'avez qu'à<143> vous servir d'un hussard qui sait la langue hongroise, que vous équiperez avec un uniforme, selle, cheval et harnais comme les hussards autrichiens sont montés, qui alors passera certainement ici; et au cas que, contre toute attente, il se perdît, il n'y aura rien de perdu ni de trahi, vu qu'il aura à porter ici une lettre mise en chiffres; mais s'il arrive, il aura toujours six ducats, que je lui ferai donner en récompense.

Au surplus, je donnerai mes ordres aux commandants des forteresses de Schweidnitz, Neisse, Glatz, et, à Cosel, au lieutenant-colonel de Kreytzen, de vous rapporter tout ce qu'ils apprennent de l'ennemi et des magasins que les Autrichiens font amasser, par où on pourra d'abord juger le but auquel ils visent.

Au reste, si les pillages des femmes et des valets vont à l'excès, il sera toujours bon que, pour les réprimer, vous fassiez statuer un exemple, en faisant pendre un de ces gens-là. Je suis avec toute la tendresse imaginable, etc.

53. DU PRINCE DE PRUSSE.

Camp de Neuschloss, 6 juillet 1757.



Mon très-cher frère,

Voici les nouvelles que trois différents espions, que le général Winterfeldt a reçus, ont débitées : que le corps de Nadasdy, qui est cavalerie, hussards, pandours et régulière infanterie, marche sur Niemes, où elle est arrivée; mais le dessein est de nous couper la communication de Zittau. Le second, qui est près de Hirschberg, consiste de trois régiments saxons, quatre régiments de hussards, et mille pan<144>dours. Le reste du corps de Nadasdy est actuellement à Dauba et Perstein. L'armée de Daun a passé avant-hier l'Iser à Benatek, et a fait aujourd'hui une marche en avant. Dans leur armée, ils débitent publiquement que leur dessein est de nous couper de Zittau et des magasins. Tous ces avis, qui sont confirmés par nos patrouilles, m'ont fait condescendre à l'avis du général Winterfeldt,144-a qui est de changer de camp et d'occuper celui de Leipa, où le général Brandeis pourra nous joindre par Georgenthal; au cas que l'ennemi continue de garder Gabel, nous sommes en état, étant joints par le général Brandeis, d'y détacher un gros corps. La communication de Leitmeritz ne sera pas plus difficile qu'à présent. La grande raison qui autorise cette marche est l'absolue nécessité de conserver la communication de Zittau, et d'attirer à nous la caisse de guerre, deux choses que nous courrions risque de perdre. Le général Winterfeldt marche demain avec cinq bataillons, des dragons et hussards, vers Georgenthal, pour nous assurer les chemins de Zittau. Nous n'avons point encore de rapport de la patrouille du major Belling,144-b qui est allé vers Gabel.

J'ai l'honneur d'être avec le plus profond respect, etc.

<145>

54. AU PRINCE DE PRUSSE.

Leitmeritz, 7 juillet 1757.



Mon très-cher frère,

J'ai reçu votre lettre du 6, et les deux doubles que vous m'en avez envoyés. Je vous passe les mouvements que vous venez de faire encore avec l'armée sous vos ordres; mais, pour le coup, je me persuade que vous ne marcherez plus en arrière, pour ne pas être au milieu de la Saxe sans y penser. Il me semble que, le poste que vous aviez occupé étant assez fort, vous n'auriez eu qu'à faire deux bons détachements pour aller en avant de deux côtés au lieutenant-général Brandeis, dont je crains qu'il ne soit, en attendant votre secours, attaqué de l'ennemi, puisque les hussards prétendent avoir entendu tirer des coups du côté de Gabel, ce qui ne saurait être qu'à l'occasion du général Brandeis, qu'on aura attaqué.

Le corps hussard de l'ennemi ne saurait être là si fort en nombre qu'on le prétend, vu qu'on en a détaché deux régiments vers la ville de Nuremberg, qu'un en est aux environs d'ici, ce qui fait trois, et trois encore à l'armée ennemie. Quand vous aurez reçu heureusement vos farines et l'argent, je vous prie, au nom de Dieu, de ne plus rétrograder, car je veux bien vous avertir qu'il n'y a nul fourrage en Saxe, de sorte que quand vous vous y tirerez, il vous en manquera là, et toute la boutique sera perdue.

Nous avons reçu ce soir des lettres du maréchal Daun par un trompette qui vient d'arriver. Selon la date de la lettre, il doit être près de Jung-Bunzlau, à Kosmanos. J'espère, au surplus, que vous aurez reçu la lettre chiffrée que je vous ai envoyée aujourd'hui matin par un hussard.

Je suis avec les sentiments que vous me connaissez, etc.

<146>

55. DU PRINCE DE PRUSSE.

Camp de Leipa, la nuit du 7 au 8 juillet 1757.



Mon très-cher frère,

Nous avons occupé aujourd'hui le nouveau camp, qui est fort, et nous favorisera l'arrivée du général Brandeis. Nous sommes à trois milles de Tetschen. Je ferai, s'il est possible, reconnaître les chemins vers Panzen et vers Leitmeritz. J'ai eu ce matin des nouvelles des majors Belling et Billerbeck;146-a ils sont heureusement arrivés à Gabel, et occupent la ville. Ils n'ont vu aucun pandour, mais trois cents hussards les ont harcelés. Un cheval de hussard a été tué. Le général Winterfeldt doit arriver ce soir à Georgenthal. Il me fait dire qu'il comptait d'avoir demain assuré la communication de Zittau, et de presser le départ du convoi. Un de nos trompettes vient d'arriver de retour du village de Vopern, près de Hirschberg, où il a trouvé un major du régiment d'O'Donnell, en détachement avec des cuirassiers. Tous les villages où il a passé ont été occupés par les hussards; de pandours, il n'en a point vu. Il n'a point porté de lettre, à cause qu'un trompette de l'ennemi doit arriver demain. Il est très-difficile de dire au juste quels sont leurs desseins, car, par le moyen de leurs troupes légères et des gens du pays, qui les favorisent, ils les cachent extrêmement. L'armée de Daun doit être campée à Bunzlau. Cela paraît probable. Le corps de Nadasdy doit être à Hirschberg, et un autre doit être passé par Weisswasser, et doit avoir Zittau en vue. Ce dessein est détruit. De l'armée du prince Charles nous n'apprenons rien du tout. Une des plus grandes difficultés, c'est que s'il faut que nous fassions des marches, il faut que nous en soyons instruits pour le moins trente-six heures d'avance, pour pouvoir nous défaire de nos chariots, qui sont trop nombreux. Je suis après à en faire faire<147> la révision; mais il en restera encore de trop, et malheureusement la plupart sont indispensables. Les avis que je pourrai recevoir des gouverneurs des places de Silésie pourront me mettre au fait, à la vérité, des desseins de l'ennemi; mais s'ils tentent quelque chose sur cette province, et surtout sur le magasin de Schweidnitz, je vous flatterais en disant que, vu ma situation, je serais en état d'y porter un prompt et grand secours. J'ai usé hier du stratagème du hussard travesti; mais j'ignore s'il est passé. J'ai envoyé par trois différentes voies la même lettre. J'écrirai aujourd'hui au commandant de Tetschen, pour savoir ce qui se passe dans ces contrées.

Je me trouve heureux, mon très-cher frère, de remplir vos intentions. Soyez persuadé que mes vœux seront parfaitement accomplis, si je puis vous convaincre du zélé et respectueux attachement avec lequel j'ai l'honneur d'être jusqu'au tombeau, etc.

56. AU PRINCE DE PRUSSE.

Leitmeritz, 7 juillet 1757.

J'ai des nouvelles sûres que toutes les troupes de l'Empire qui s'assemblent à Fürth ne feront que dix-huit mille hommes; cela me paraît bien peu de chose pour faire une diversion. Je commence à soupçonner que les Autrichiens pourraient avoir dessein de pénétrer en Silésie par Landeshut. Kreytzen m'écrit qu'il y a eu un corps de trois mille hommes qui s'est montré là, et qui s'est retiré. Daun nous masque avec ses troupes légères; Dieu sait ce qu'il fait en attendant. Entretenez une vive correspondance avec d'O147-a et Kreytzen, pour<148> que vous soyez averti des mouvements que l'ennemi pourrait faire de ce côté-là; et réglez vos marches d'avance. Si vous étiez obligé de tourner de ce côté, Winterfeldt et Embers connaissent le pays et les camps que l'on y peut prendre. Si la guerre va de ce côté-là, et que vous puissiez prévenir l'ennemi du côté de Landeshut, vous avez des camps très-forts dans les montagnes, qui couvrent toute la Silésie. Il faut encore observer que si vous vous retirez par la Lusace, vous serez obligé, au cas que Nadasdy et sa canaille vous suive, de lui laisser un corps opposé du côté de Zittau, pour l'empêcher de faire des incursions; en ce cas, je pourrai relever une partie de ces troupes, et vous envoyer tout ce de quoi je pourrai me passer. Adieu.

57. DU PRINCE DE PRUSSE.

Camp de Leipa, 8 (juillet 1757), au soir.



Mon très-cher frère,

Le hussard m'a rendu la lettre en date du 7. La correspondance que je dois entretenir avec les commandants des forteresses de Silésie sera difficile, puisque toutes les communications sont coupées par la vigilance des troupes légères des ennemis; cependant je ferai mon possible. Ayez la grâce de me donner un ordre positif sur ce que je dois faire, soit de couvrir la Silésie, ou de conserver un pied en Bohême, en couvrant Zittau aussi longtemps que je trouverai du fourrage; car si vous appréhendez une prochaine invasion en Silésie, je crois qu'il sera très-difficile, pour ne pas dire impossible, que je prenne un autre chemin que par Zittau, à cause du grand train de chariots et de caissons qu'il faut faire marcher d'avance et couvrir à pro<149>portion de la difficulté des chemins. De plus, nous ne pouvons avoir du pain pendant la marche qu'autant que le magasin de Zittau nous en fournira, qu'il faut prendre avec, et s'arrêter à Zittau autant de temps qu'il faut pour le cuire. Pour couvrir Zittau, au cas que je doive marcher en Silésie, il faudra pour le moins un corps de dix bataillons, de la force qu'ils sont à présent la plupart, car le corps de Nadasdy doit être de dix mille hommes. Le général Brandeis m'a écrit de Gabel, où il est arrivé avec la tête du convoi, le 7, fort heureusement; pour assurer son arrivée, j'ai détaché le colonel Krockow,149-a avec deux bataillons de hussards et dragons, pour marcher à sa rencontre. De l'armée de Daun nous n'avons pas la moindre nouvelle. Tout notre camp est entouré de petites troupes de hussards qui se montrent à peine hors des bois. Un homme venu de Politz rapporte que, ce midi, l'ennemi s'y est campé; je tâcherai de m'en éclaircir. Du général Winterfeldt je n'ai pas eu la moindre nouvelle. Son intention était d'être aujourd'hui à Georgenthal. Je crois qu'il y sera, et que la lettre qu'il m'a envoyée, ou bien le messager, auront été enlevés. Pour avoir du pain pour six jours, le général Goltz149-b m'assure que, avant le 14, nous ne pourrons marcher, car la farine n'arrive que demain.

Dans l'instant, le général Winterfeldt arrive, ayant mis deux bataillons à Reichstadt, et des hussards. Il n'a vu que quatre cents pandours et quelques hussards, qui ont pris la fuite. Le chemin d'ici à Zittau est probablement assuré par ce poste. Je compte que demain le général Brandeis arrivera. Le général Goltz m'a dit qu'il sera absolument nécessaire d'ordonner que, après que les chariots de Silésie seront arrivés à Zittau, et auront remis la farine, on les fasse partir, la consommation étant trop grande par rapport au pain et fourrage. Ainsi j'ai suivi son avis et donné l'ordre. Le général Winterfeldt m'a<150> dit avoir des nouvelles sûres qu'il n'y a jusqu'à présent que six cents chevaux de marchés vers les frontières de Silésie; il espère pouvoir être en peu éclaira des desseins que l'ennemi forme; il a fait l'acquisition d'un bon espion.

J'ai l'honneur d'être avec le plus profond respect, jusqu'au tombeau, etc.

58. DU MÊME.

Camp de Leipa, 10 juillet 1757.



Mon très-cher frère,

Le hussard est arrivé heureusement ce matin avec la seconde lettre en date du 7; celle que j'avais envoyée avant-hier à Leitmeritz m'est revenue aujourd'hui, le hussard n'ayant pu passer. J'espère que celui-ci sera plus heureux; aussi je lui donne les deux lettres. Le général Brandeis est arrivé fort heureusement avec de la farine qui nous donnera pour dix jours de pain, et l'argent pour deux mois. Il a amené l'augmentation; l'infanterie a perdu par désertion cent trente hommes, la cavalerie treize. Les postes de Gabel et Reichstadt étant occupés par nos grenadiers, le convoi s'est fait avec sûreté. Quelques hussards et pandours se sont montrés à l'arrière-garde; mais un coup de canon les a fait partir. Un trompette autrichien est venu hier du général Morocz avec des lettres. Ce général a son quartier à Niemes; son détachement doit être entre cinq et six mille hommes, tous hussards et pandours. Demain les chariots que le général Brandeis a amenés partiront avec deux bataillons d'escorte; les bataillons resteront à Zittau, pour que, en cas qu'il nous faille de la farine, ils<151> puissent nous l'amener. Je joins les dépositions d'un déserteur et d'un autre homme. Je n'ajoute pas plus de foi qu'il ne faut à de pareils rapports. Je ne bougerai de ce camp sans ordre ou raison évidente. Je n'ai jamais compté que ce corps, entrant par Zittau en Saxe, y ferait long séjour, mais bien qu'il passerait, pour entrer en Silésie et couvrir la frontière. Comme sur ceci j'ignore vos desseins, je crois avoir bien fait de faire reconnaître les marches, et de les assurer par des postes. Le lieutenant-colonel Le Noble, soutenu de cent hussards, compte d'attaquer cette nuit un détachement de pandours; ayant reconnu les chemins par les bois, il espère de les couper. Dans ce moment, un trompette autrichien vient d'arriver avec une lettre du maréchal Daun; la lettre est du 7, datée de Münchengrätz. Ils ont envoyé en même temps un valet qui a volé son maître, le capitaine Bosse, d'Itzenplitz. J'ai fait examiner ce garçon, et je joins toute sa déposition sur ce qui regarde l'armée ennemie. J'ai l'honneur d'être avec le plus profond respect, jusqu'au tombeau, etc.

59. DU MÊME.

Camp de Leipa, 11 juillet 1757.



Mon très-cher frère,

Nous avons envoyé ce matin le trompette autrichien qui avait des lettres pour le général de Retzow à Leitmeritz, et on a cru que, accompagné d'un de nos trompettes pour sa sûreté, on le laisserait passer; le coup n'a pas réussi, et notre trompette revient dans l'instant avec ma lettre. J'ose demander vos ordres sur les cas qui pourraient arriver. Toutes nos nouvelles confirment que la grande armée, après<152> avoir passé l'Iser à Münchengrätz, doit se camper à Niemes, où est à présent le général Morocz. Ce mouvement les approche du chemin de Zittau par Reichstadt et Gabel. S'ils le font, ils seront à même d'être à Zittau aussitôt que nous; et si nous devons nous rendre à Zittau, il ne nous reste alors d'autre chemin, pour ne leur point prêter le flanc, que par Georgenthal, qui doit être très-difficile. Je joins la déposition d'un hussard et d'un autre déserteur, d'une femme, et un rapport du major Belling, de Gabel. Le trompette autrichien qui est arrivé hier a été questionné par le général Winterfeldt sur toutes sortes de matières; il a dit que le général Keil était détaché avec quinze mille hommes. Je vous demande en grâce de me donner des ordres positifs sur ce que vous ordonnez que je fasse. J'ose encore vous avertir qu'ici nous n'avons que pour dix jours de pain, et que le transport que le général Brandeis a conduit à Zittau n'a amené que pour quatre semaines de farine. Je ferai reconnaître un camp qu'on m'a proposé de prendre, au cas que l'armée de Daun se campe à Niemes; alors la droite sera à Brins, Walten devant le front, et la gauche à Gabel, ce qui couvrira le chemin de Zittau. Ce qui commence le plus à manquer ici, c'est la viande, la plupart des régiments n'étant point fournis de bœufs. Le pays n'en fournit pas suffisamment, à cause que les pandours et hussards l'empêchent. Le Noble a mis le feu à une centaine de huttes de pandours, et pris leurs manteaux.

J'ai l'honneur d'être jusqu'au tombeau, etc.

<153>

60. AU PRINCE DE PRUSSE.

Leitmeritz, 8 juillet 1757.



Mon cher frère,

Je vous prie de prendre bien vos mesures, afin que le secret de tout ce qui suit ne sorte pas de vos mains, ce qui est de la dernière importance. Vous n'avez rien à craindre pour Schweidnitz. La place ne peut pas être surprise; il faut un siége régulier pour s'en emparer. Voici ce que, selon moi, l'ennemi peut faire, et à quoi il faut penser. La première affaire pour vous est d'attirer Brandeis, l'argent pour l'armée, sept cents chariots de farine, qu'il faut renvoyer après qu'ils seront déchargés, et d'attirer à vous l'augmentation. Voilà ce que l'ennemi peut faire : 1o un projet sur la Silésie; je vois qu'il n'y pense pas pour le moment présent; il ne veut que nous pousser hors de la Bohême. 2o Si nous nous retirons en Saxe, comme il faudra bien que cela arrive entre ci et six semaines, il pensera ou à percer en Lusace, ou peut-être encore à opposer un corps vers Cotta. Je vous ai instruit de mes intentions, tant pour la Silésie que pour la Lusace. J'ai appris de science certaine que trois régiments de hussards marchent à Nuremberg. L'armée de l'Empire ne pourra se mettre en marche que vers le 15 d'août. Je compte alors laisser un corps à Cotta, et exécuter le plan que j'avais formé cet hiver sur Mersebourg ou Weissenfels, leur tomber à dos et les couper. Vous ferez la même chose du côté de la Lusace. Mais comme nous ne sommes pas en état d'agir offensivement de tous les côtés, il faudra que, pendant mon expédition, vous conteniez les ennemis, où vous serez, par des camps forts, jusqu'à ce que, après la fin de mon expédition, je puisse venir ou vous envoyer des secours, pour vous mettre en état d'agir offensivement; et dans ce cas, je vous recommande de ne point mettre en jeu toute l'armée, mais de vous borner à un seul point d'attaque,<154> et de préparer d'avance les officiers à cette manœuvre. Il faudra aussi, dès que l'occasion et la tranquillité le permettront, fondre les grenadiers de Kalenberg et Bähr dans vos bataillons de grenadiers délabrés, les régiments de Manstein et Wietersheim dans Bevern, Henri, Münchow, Schultze et Wied. Chaque général pourra choisir de ces régiments, pour compléter le sien, les meilleurs officiers. Les autres, comme Wietersheim et les officiers non employés, je les payerai, en attendant, extraordinairement de ma bourse. Il faut aussi que votre cavalerie songe sérieusement à se recompléter, et quand vous aurez attiré à vous tous vos secours, vous pourrez reprendre le camp de Neuschloss. Ce mouvement en avant fera un bon effet. Je suis avec estime, etc.

61. DU PRINCE DE PRUSSE.

Camp de Leipa, 12 juillet 1757.



Mon très-cher frère,

J'ai reçu hier au soir la lettre en date du 8. Je n'abuserai point de la confiance que vous me portez, et je garderai un parfait secret sur ce qu'elle contient. Vous permettrez que je vous écrive avec franchise, tout naturellement, comme j'envisage les choses. Vous saurez déjà que le général Brandeis nous a joints, et qu'il a laissé à Zittau pour près de quatre semaines de farine. Les chemins de Zittau jusqu'ici sont difficiles. Pour dix jours de pain, il faut cinq cent cinquante chariots, ce qui demande une escorte proportionnée à la quantité de troupes que l'ennemi peut employer à inquiéter le convoi. Dans le<155> camp que nous occupons à présent, tenant155-a Gabel et Reichstadt, nous pouvons faire les convois avec facilité, étant en état et à portée de soutenir ces postes; et si l'ennemi met un gros corps à Niemes, nous pouvons, sans risque, camper quelques bataillons près de Gabel. Si nous prenons un camp en avant, cela peut se faire, et je réponds que l'ennemi ne nous en empêchera pas; mais je ne puis répondre de la sûreté des chemins vers Zittau. Si l'ennemi peut nous enlever un convoi, les troupes manqueront de pain, et les suites ne sauraient qu'être mauvaises. L'ennemi, suivant toutes nos nouvelles, est campé entre Liebenau et Swigan, le corps de Nadasdy en avant, et Morocz à Niemes, comme l'avant-garde de Nadasdy. Il me semble que le plus grand mal que l'ennemi pourrait nous faire serait de nous enlever nos magasins en Silésie; celui de Schweidnitz est à l'abri de toute insulte; il ne lui en reste donc d'autre que celui de Zittau, sur lequel il pourrait faire quelque tentative. Tant que nous sommes à portée d'y arriver aussitôt qu'eux, ils n'y toucheront pas; mais si nous nous éloignons, ils ont le champ libre pour y envoyer un gros détachement, et le couvrir par l'armée. Le manque de fourrage nous obligera de changer en huit jours155-b de camp. Je vous demande de décider si je dois prendre un camp en avant, au risque de perdre la communication avec Zittau, ou si je dois prendre le camp près de Gabel, qui est peu éloigné d'ici, et qui couvre le chemin de Zittau. Les troupes légères de l'ennemi ne se montrent presque pas du tout. Le plus grand mal qu'elles font est d'empêcher l'entrée des vivres. La plupart des régiments ne sont point pourvus de bœufs. Le général Goltz tâche d'y suppléer en faisant livrer le pays; mais comme la contrée qui respecte ses ordres est de peu d'étendue, il a peine d'y suffire.<156> L'incorporation des bataillons saxons dans les régiments qui ont perdu le plus aux dernières batailles aura lieu, je pense, lorsque ces régiments seront dans des garnisons, car, en campagne, il serait à craindre que la plupart, avant d'être accoutumés à leurs nouveaux officiers, déserteront. J'attendrai l'ordre quand il vous plaira que ce changement se fasse. J'ai vu les recrues de l'augmentation que les régiments ont reçue; elles paraissent bien dressées et en état de faire service. Les chevaux sont la plupart très-jeunes; ceux des régiments de Kyau et de Stechow sont le mieux en état; dans le régiment de Wartenberg, l'ordre n'est pas tel qu'il doit être. Le major Dalwig est absent et blessé; ainsi le régiment n'a ni le chef, ni le commandeur qui, dans le commencement de la campagne, ont été cause que le régiment a si bien fait son devoir.

J'ai l'honneur d'être jusqu'au dernier moment de ma vie, etc.

62. AU PRINCE DE PRUSSE.

Leitmeritz, 14 juillet 1757.



Mon cher frère,

J'ai reçu la lettre que vous m'avez faite du 12. Si vous vous retirez toujours, vous serez acculé à Berlin entre ci et quatre semaines. L'ennemi ne fait que vous suivre. Vous manquez ici de bœufs; faites-en venir de la Lusace. Si vous vous retirez, vous manquerez de fourrage, et vous aurez toujours cette race maudite sur vos flancs, de quelque côté que vous vous tourniez. Vous n'avez que Morocz à vos côtés, à Niemes; Nadasdy est ici, à Gastorf; Daun est à Neuschloss, nous avons entendu son canon. Je vois que l'on vous en impose par<157> les nouvelles, et que l'on grossit tous les objets. Vous avez le Proviant-Fuhrwesen,157-a qui peut vous mener de la farine tant que vous en voulez. Je crois plutôt qu'il sera nécessaire de faire un détachement de cinq à six mille hommes vers Schweidnitz, pour couvrir la frontière contre Keil. Vous vous réglerez, sur cela, sur vos nouvelles. Quand vous incorporerez les régiments saxons, il faut que cela se fasse en un jour. Dalwig est malade à Dresde; je le presserai de retourner au régiment. Il faut, en attendant, que Puttkammer le commande, ainsi que le sien. Nadasdy a ici deux régiments de hussards, deux de cuirassiers, deux de dragons saxons, six bataillons de l'infanterie hongroise réglée, et à peu près trois mille pandours. Loudon est au Paschkopole avec quinze cents hommes, pandours et hussards; et cinq cents à huit cents sont tantôt à Graupen, tantôt à Zinnwald, Ossek, Mariaschein et Schneeberg. Décomptez tout cela, vous verrez que l'on grossit le nombre de ceux qui sont dans votre voisinage.

Je suis, mon cher frère, etc.

63. AU MÊME.

Leitmeritz, 10 juillet 1757.



Mon cher frère,

Depuis hier au soir, nous avons un gros corps d'ennemis devant nous, qui s'est campé depuis Wegstättl vers Zahorzan. Je ne saurais pas dire si c'est toute l'armée ennemie, ou ce que c'est. Ils ont fait de gros détachements vers Ausche, que je compte de quatre mille<158> hommes. Autant que je saurais deviner, leur dessein va purement de vouloir prendre Tetschen. Vous êtes en état de faire de derrière des détachements là, ce que je ne saurais point faire d'ici. Ainsi il sera bon et même très-nécessaire que vous détachiez un corps de six à sept mille hommes, pour chasser l'ennemi de là et pour faire échouer son entreprise. Je suis avec estime, etc.

64. DU PRINCE DE PRUSSE.

Camp de Leipa, 13 juillet 1757.



Mon très-cher frère,

Le chasseur est arrivé cette nuit avec la lettre du 10. Le général Winterfeldt marchera, aussitôt qu'il sera pourvu de pain, avec sept bataillons, dix escadrons de dragons et dix de hussards. Les chemins sur Panzen doivent être impraticables pour les canons; ainsi il marche sur Kamnitz, où il compte de devancer le corps destiné pour l'attaque de Tetschen et de Pirna, comme un de ses espions le débite. Je viens de recevoir des lettres de M. de Schlabrendorff et du général Kreytzen, que l'ennemi s'est emparé de Landeshut. Le général Kreytzen m'écrit qu'il est entré avec ses bataillons à Schweidnitz. Il ignore le nombre des ennemis, et se rapporte sur une lettre précédente qu'il m'a écrite, mais que je n'ai point reçue. Demain nous envoyons deux bataillons à Zittau pour amener pour neuf jours de farine. En cas que vous m'ordonniez que je marche, il me faut trente-six heures, afin que la quantité des chariots prenne les devants. Il nous reste ici trente-deux bataillons, trente-cinq escadrons, et quinze escadrons de hussards. D'aujourd'hui, je n'ai eu aucune nouvelle de<159> l'ennemi. Nous changerons cette après-midi le camp, pour qu'il n'y ait point de lacune dans les lignes. Un trompette qui a été envoyé ce matin, pour conduire les équipages qui doivent joindre le général Treskow et d'autres officiers prisonniers, revient dans l'instant. Le récépissé qu'il a apporté est signé par le général Hadik, et daté de Neuschloss.

J'ai l'honneur d'être avec le plus profond respect, jusqu'au tombeau, etc.

65. AU PRINCE DE PRUSSE.

Leitmeritz, 13 juillet 1757.



Mon très-cher frère,

Pour vous mettre en état de juger ce que vous et moi devons ou pouvons faire, je dois d'avance vous mettre au fait de notre situation présente. Vous avez vis-à-vis de votre armée Daun, j'ai vis-à-vis de moi Nadasdy; vous avez Morocz sur le flanc, et Keil, s'il est détaché, marche, selon toutes les apparences, vers Landeshut. D'un autre côté, les Suédois assemblent un corps de dix-sept mille hommes à Stralsund; les Français sont entrés en Hesse; on m'écrit que huit mille hommes ont passé le Wéser, qui seraient suivis d'autres huit mille; je crois ces seize mille hommes destinés à se joindre avec les troupes de l'Empire et pour marcher ou vers Halle, ou vers Magde bourg. Cette situation est certainement mauvaise; mais voilà ce que nous devons tâcher d'exécuter le mieux qu'il se pourra : vous de couvrir la Lusace et la Silésie; car si vous ne couvrez pas la Lusace, un essaim de troupes légères pénétrera, la flamme et le fer en main, jus<160>qu'à Berlin; la Silésie, sans quoi le pays sera ruiné, et les forteresses prises, faute d'être secourues. Je ne saurais vous prescrire la façon de l'exécution. Tout cela est très-difficile; mais consultez avec les généraux que vous avez avec vous, et prenez le meilleur parti, selon que les circonstances l'exigent, pour quoi je ne vous gêne ni sur vos positions, ni sur vos marches. Quant à moi, j'ai deux objets : l'un de couvrir les montagnes de la Saxe pour garder l'Elbe et mes magasins, l'autre de m'opposer à l'armée française et de l'Empire. Quant à la Poméranie, j'y lève cinq mille hommes de garnison, et pour soutenir Stettin, vous y enverrez le régiment de Bevern, et j'y enverrai de même deux bataillons. Ceci n'est pas la fin de mon embarras; je reçois aujourd'hui la nouvelle que les Français ont pris Emden, et Lehwaldt m'écrit hier qu'il s'attend à la prise de Memel, que les Russes assiégent. Apraxin s'est retranché à Kauen, et la flotte et les galères font des descentes sur les côtes de la mer.160-a Que tout ceci ne vous fasse point perdre courage; il faut à présent redoubler d'efforts; mais mon sentiment est de tâcher d'en venir quelque part à une décision par une bataille. Si nous n'en venons pas là, l'un et l'autre, avant la fin de la campagne, nous serons perdus.

Vous aurez apparemment reçu dans mes lettres précédentes ce qui regarde les régiments saxons, dont il faut compléter vos régiments. Vous avez donc Manstein, Wietersheim, les bataillons de grenadiers Kalenberg, Bähr et Diezelski à votre disposition; je permets aussi aux chefs des régiments de prendre les meilleurs enseignes et porte-enseigne dans leurs régiments.

Si Daun et le gros de l'armée autrichienne restent vis-à-vis de vous, il faudrait détacher huit à dix bataillons et quelques hussards en Silésie pour couvrir les montagnes, surtout Schweidnitz, et, en cas de besoin, on peut vous fournir pour un mois de farine de Dresde.<161> Vous êtes pourvu à présent jusqu'au 12 août, et l'on pourrait sans peine vous donner jusqu'au 12 septembre.

Fr.

>Ces marches en arrière, à la longue, ne vont pas; il vous manquera toujours ou du fourrage, ou du pain, ou Dieu sait quoi, et vous perdrez autant par désertion que si vous vous battiez avec l'ennemi; et, dans notre situation désespérée, il faut avoir recours à des remèdes désespérés.

Fr.

Il faut toujours vous tourner du côté de la grande armée ennemie; si elle détache pour la Silésie, vous pouvez détacher de même; si elle va en Silésie, et qu'elle détache vers la Lusace, vous ferez la même chose. Envoyez, je vous en conjure, cette lettre à mon frère Henri pour laquelle je vous ai vainement tourmenté avant votre départ.

Frederic.

66. DU PRINCE DE PRUSSE.

(Bautzen, 30 juillet 1757.)



Mon très-cher frère,

Les lettres que vous m'avez écrites, et la réception que vous m'avez faite hier, ne me prouvent que trop que je suis perdu d'honneur et de réputation dans votre esprit. Ceci m'attriste, me chagrine, mais ne m'abat point, n'ayant aucun reproche à me faire, et étant fon<162>cièrement persuadé que je n'ai point agi par caprice, que je n'ai point suivi les conseils de gens incapables d'en donner de bons, mais que j'ai fait ce que j'ai cru être pour le bien de l'armée. Tous vos généraux me rendront cette justice.

Je sens bien qu'il serait inutile de vous demander de faire examiner ma conduite. Ce serait une grâce que vous me feriez; ainsi je dois y renoncer.

Ma santé étant fort dérangée par les fatigues, mais encore plus par les chagrins, je me suis logé en ville pour tâcher de la rétablir.

J'ai prié le duc de Bevern de vous faire les rapports de l'armée; il est à même de vous rendre compte de tout.

Soyez persuadé, mon très-cher frère, que, indépendamment des malheurs non mérités qui m'accablent, je ne cesserai jamais de ma vie d'être dévoué à l'État, et que, en bon citoyen, ma joie sera parfaite d'apprendre l'heureuse réussite de vos exploits. J'ai l'honneur d'être, etc.162-a

67. AU PRINCE DE PRUSSE.

(Camp de Bautzen) ce 30 (juillet 1757).

Vous avez mis par votre mauvaise conduite mes affaires dans une situation désespérée; ce n'est point mes ennemis qui me perdent, mais les mauvaises mesures que vous avez prises. Mes généraux sont inexcusables, ou de vous avoir mal conseillé, ou d'avoir souffert que<163> vous preniez d'aussi mauvais partis. Vos oreilles ne sont accoutumées qu'au langage des flatteurs; Daun ne vous a pas flatté, et vous en voyez les suites. Pour moi, il ne me reste, dans celte triste situation, qu'à prendre les partis les plus désespérés. Je combattrai, et nous nous ferons massacrer tous, si nous ne pouvons vaincre. Je n'accuse point votre cœur, mais votre inhabileté et votre peu de jugement pour prendre le meilleur parti. Je vous parle vrai. Qui n'a qu'un moment à vivre n'a rien à dissimuler. Je vous souhaite plus de bonheur que je n'en ai eu, et que, après toutes les flétrissantes aventures qui viennent de vous arriver, vous appreniez dans la suite à traiter les grandes affaires avec plus de solidité, de jugement et de résolution. Le malheur que je prévois a été causé en partie par votre faute. Vous et vos enfants en porterez la peine plus que moi. Soyez, malgré cela, persuadé que je vous ai toujours aimé, et que j'expirerai avec ces sentiments.

68. AU MÊME.

(Camp de Bautzen) ce 30 (juillet 1757).



Mon cher frère,

Vous ne pouvez aller en sûreté qu'à Torgau. Il faut partir demain pour vous y rendre, et vous attendrez là la fin de notre campagne. Je suis, mon cher frère, etc.

<164>

69. DU PRINCE DE PRUSSE.

Leipzig, 12 novembre 1757.



Mon très-cher frère,

Comme vous quittez ces contrées, mon très-cher frère, j'espère que vous m'accorderez de me rendre à Berlin, où je tâcherai de rétablir entièrement ma santé.

Je suis avec le plus profond respect et un inviolable attachement, toute ma vie, etc.

70. AU PRINCE DE PRUSSE.

Leipzig, 12 novembre 1757.



Monsieur mom frère,

Je suis bien content que vous vous rendiez à Berlin pour y soigner le rétablissement de votre santé, et je souhaite sincèrement que vous soyez bientôt remis tout à fait de votre indisposition, et suis avec considération, monsieur mon frère, etc.164-a

<165>

71. DU PRINCE DE PRUSSE.

Oranienbourg, 8 décembre 1757.



Mon très-cher frère,

Je vous félicite, mon très-cher frère, de la victoire que vous venez de remporter. Soyez persuadé que les malheurs qui m'ont effacé de votre souvenir et privé de votre estime n'ont point éteint les sentiments qui me font prendre part à tout ce qui contribue à la gloire de vos armes, à la vôtre, et à la conservation de l'État. Cette façon de penser ne me quittera qu'avec la vie.

J'ai l'honneur d'être, etc.

72. DU MÊME.

Berlin, 24 janvier 1758.



Mon très-cher frère,

J'ai toujours tâché de régler ma conduite en sorte de n'avoir aucun reproche à me faire. Cette persuasion fait mon unique consolation dans ma situation présente. Il serait messéant que je vous renouvelle le souvenir des causes qui m'ont privé (peut-être injustement) de l'honneur de votre estime et confiance; mais, étant persuadé et convaincu d'en être privé, je crois que nul autre parti ne me reste à prendre que celui de la retraite. Soyez persuadé, mon très-cher frère, que je regrette mon inutilité, et que je sacrifierais avec plaisir ma vie pour le bien-être de l'État et la gloire de l'armée, si vous m'en<166> croyiez digne, mais que j'aime plutôt vivre dans l'oubli que de vous être à charge et inutile à l'armée. Ces sentiments sont conformes à ceux dont j'ai toute ma vie tâché de vous donner des preuves. Soyez persuadé qu'ils ne me quitteront jamais.

J'ai l'honneur d'être, etc.


100-a Cette lettre rappelle les dispositions testamentaires de Frédéric, des années 1752, 1757, 1758, 1759, 1768 et 1769, imprimées ou citées t. IV, p. 295 et 296; t. VI, p. V, VI, et 243-248; t. XXV, p. 353 et suivantes.

101-a Voyez t. III, p. 63.

103-a Le prince parle du neuvième régiment d'infanterie, en garnison à Hamm, qui avait pour chef le lieutenant-général Othon-Frédéric de Leps.

104-a Evangile selon saint Matthieu, chap. XIII, v. 57.

105-a Voyez t. III, p. 121 et suivantes, et ci-dessus, p. 83.

107-a Voyez t. II, p. XV.

107-b Frédéric écrit au Prince de Prusse, de Potsdam, 9 octobre 1746 : « Je suis à présent plus occupé que jamais à mettre la dernière main à mes Mémoires, et j'espère d'avoir achevé tout l'ouvrage avant le mois de décembre. » Voyez, sur ces Mémoires, t. II, p. 1.

108-a Cet acte est du 19 septembre 1746.

108-b La bataille de Rocoux. Voyez t. IV, p. 13.

110-a Henriade, chant V, v. 349 et 350.

110-b Voyez t. I, p. XLI; t. XXII, p. 186; t. XXIII, p. 403

114-a Le Prince de Prusse était à Kyritz, garnison de son régiment de cavalerie. Voyez t. III, p. 154; t. IV, p. 148; et ci-dessus, Avertissement, art. III.

115-a Voyez t. III, p. 87 et suivantes, 122 et suivantes.

115-b Voyez t. IV, p. 7.

116-a Le public de Berlin soupçonnait le général de Walrave d'avoir communiqué à plusieurs ministres étrangers les plans des places fortes de la Silésie, et des cartes de cette province. Les journaux ne parlaient que de malversations; mais le public ne les croyait pas. Nous devons ces détails à la lettre inédite du Prince de Prusse au Roi, du 15 février 1748. Le général-major de Walrave, chef du régiment des pionniers, à Neisse, arriva à Berlin le 30 janvier 1748, et fut arrêté à Potsdam le 10 février suivant.

117-a Les Principes généraux de la guerre, appliqués à la tactique et à la discipline des troupes prussiennes. Voyez t. I, p. XXVI.

117-b Sophie-Antoinette-Catherine de Tettau, née à Ruppin le 31 décembre 1720 (voyez ci-dessus, p. 29); il a été fait mention de sa sœur cadette et de son père t. XVII, p. 240 et 271, et t. XVIII, p. 170. Quant à M. de Saldern, voyez t. V, p. 225.

118-a Le manuscrit des Principes généraux de la guerre.

119-a Le Roi entend par là les instructions qu'il avait imprimées pour les officiers des diverses armes, sous le titre de Règlements.

120-a Voyez t. IV, p. 20 et 21.

123-a Voyez t. IX, p. III, article III, et p. 39-45.

125-a De la main d'un secrétaire.

125-b De la main du Roi.

125-c Voici ce qu'on lit dans l'Éloge (inédit) de la margrave Wilhelmine, composé en 1759 par le marquis d'Adhémar, grand maître de la maison de la princesse défunte : « Un affreux incendie consuma (le 26 janvier 1753) le château de Baireuth et beaucoup d'effets précieux. Leurs Altesses envisagèrent ce triste événement comme un de ces coups de la fortune qui ne doit point abattre les âmes fermes. Leur premier soin fut de consoler leur cour, etc. »

126-a Frédéric parle de son Extrait tiré des Commentaires du chevalier Folard sur l'Histoire de Polybe. Quant à M. de Seers, voyez t. IV, p. 179.

128-a Le lieutenant-général comte de Hacke, mort le 17 août 1754. Voyez t. III, p. 62; t. XVI, p. 54 et 90; t. XX, p. 124; et ci-dessus, p. 99.

129-a Le 18e, en garnison à Spandow. Voyez t. IV, p. 161.

130-a Quedlinbourg.

131-a Voyez t. IV, p. 31 et suivantes.

132-a Voyez ci-dessus, p. 114.

132-b Sir Andrew Mitchell. Voyez t. XXV, p. XVIII, art. IX, et p. 649-652. L'envoyé de Prusse à Londres s'appelait Louis Michel.

133-a Voyez t. IV, p. 40 et suivantes.

133-b De Philippe Wouwermans.

134-a La princesse Amélie.

134-b La Reine-mère.

134-c Envoyé du Roi à Vienne. Voyez t. IV, p. 36 et suivantes.

135-a Frédéric partit pour l'armée le 28 août. Voyez t. IV, p. 92 et suivantes.

135-b Voyez les Mémoires de Montécuculi. Nouvelle édition. Amsterdam et Leipzig, 1756, in-8, p. 81, chapitre IV, Des opérations, article I, De la résolution.

136-a Eller. Voyez t. XVI, p. XII, art. XI, et p. 197-201.

136-b Keith. Voyez t. IV, p. 149 et suivantes.

136-c Voyez t. IV, p. 246; t. V, p. 101 et 104; t. XXIV, p. VI, art. V.

137-a Voyez t. III, p. 61.

137-b Allusion à la bataille de Kolin. Voyez t. IV, p. 145 et suivantes.

137-c L. c., p. 149 et 150.

137-d L. c., p. 150.

140-a Chef d'un bataillon franc. Voyez t. IV, p. 221.

142-a Jean-Guillaume Embers, major du génie; il devint lieutenant-colonel le 17 avril 1758, et mourut à Glogau le 21 mars 1779.

144-a Le général de Winterfeldt entretenait une correspondance secrète avec le Roi, comme le Prince de Prusse le dit vers la fin de la Relation qu'il a faite de sa campagne de 1757. Voyez les lettres et les fragments de lettres du général de Winterfeldt à Frédéric, des camps de Neu schloss, de Leipa et de Löbau, 6, 15 et 26 juillet 1757, dans le Urkundenbuch zu der Lebens geschichte Friedrichs des Grossen, par J.-D.-E. Preuss, t. V, p. 62 et 63, et dans l'ouvrage de M. de Schöning, Der siebenjährige Krieg, t. I, p. 74.

144-b Voyez t. V, p. 152.

146-a Voyez t. V, p. 194.

147-a Voyez t. V, p. 62.

149-a Voyez t. XX, p. XI, et 195-198; t. XXV, p. XVIII, et 653-655.

149-b Voyez t. IV, p. 226.

155-a Ce mot, ou un autre terme équivalent, a été omis par le déchiffreur. La traduction allemande de 1769 porte, p. 93 : « Da Gabel und Reichstadt besetzt ist. »

155-b Nous ajoutons, d'après la traduction allemande de 1769, les mots huit jours, qui manquent dans l'original déchiffré.

157-a Train des équipages.

160-a Voyez t. IV, p. 193.

162-a L'autographe de cette lettre ne se trouvant pas aux Archives de l'État, nous avons eu recours à la copie que le Prince de Prusse en a insérée dans la Relation mentionnée dans l'Avertissement de ce volume, article III, et ci-dessus, p. 144.

164-a Ce billet est de la main d'un secrétaire et signé par le Roi, qui avait mis au dos de la lettre de son frère (no 69) : « Bene. Fr. »

98-a Il s'agit ici de l'Épître à mon frère, commençant par les mots : « O vous en qui mon cœur, » etc. Nous en avons trouvé l'original, daté de Remusberg, 28 novembre 1738, dans le premier volume de la correspondance manuscrite de Frédéric avec le prince Guillaume. La même pièce a été imprimée dans notre t. X, p. 61-67, sous le titre d'Épître à mon frère de Prusse, et la date de 1736; mais cette date, quoique tirée d'un autographe de l'Auteur (t. X, p. III), est probablement inexacte, puisqu'elle diffère de celle du manuscrit original.

99-a Voyez t. II, p. 80, et t. XVII, p. 107 et 108, no 49.

99-b Conseillers de Cabinet.