<579>

387. AU MÊME.

Le 27 septembre 1784.



Mon très-cher frère,

Je ne connais que de réputation les grands hommes dont vous avez la satisfaction de jouir. M. de Condorceta est l'élève de d'Alembert; il marche sur ses traces, et sûrement il l'égalera un jour. Je ne connais pas même de réputation le poëte, mon cher frère, que vous m'avez nommé; toutefois je doute fort qu'il approche de Molière. Il y a un point de perfection en tous les genres, qu'il est difficile d'égaler, encore plus de surpasser. A l'égard du médecin électrique, je le range hardiment dans la classe du médecin de la lune, qui naguère attira le concours de nos badauds.b Il n'y a aucune opinion dont on ne puisse soutenir le pour et le contre; toutefois je m'élèverai hardiment contre l'électricité animale, et l'influence de la lune, et de pareils charlatanismes, qui ne sont imaginés par des fripons qu'en vue de tromper le vulgaire imbécile et superstitieux. Toute ma tournée de cette année est achevée, et je commence à jouir de quelque repos, qui m'est d'autant plus nécessaire que mes forces se perdent d'année en année, et que l'âge impérieux m'avertit que mes beaux jours se sont écoulés. Marc-Aurèle dit : « Tu es une âme qui traîne un cadavre. »c Cela est très-vrai à mon âge; ni plus ni moins, il faut que le cadavre trotte. C'est en vous assurant du plus tendre attachement et de la plus haute estime que je suis, etc.


a Voyez t. XXV, p. XI, art. IX, et p. 407-430.

b On trouve l'histoire de ce médecin de la lune, qui était un bonnetier nommé Weisleder, dans la Berlinische Monatsschrift, herausgegeben von F. Gedike und J. E. Biester, Berlin, 1783, t. I, p. 353-385. C'est en 1780 et en 1781 qu'il offrit au public de Berlin les secours de son art.

c « Tu es, comme disait Épictète, une âme qui promène un mort. » (Réflexions morales de l'empereur Marc-Antonin, avec des remarques de M. et madame Dacier, liv. IV, no XLIII.)