<561> je crains que la grande Catherine ne se laisse tromper par l'Empereur sans s'en apercevoir, et que, en lui faisant faire un pas après l'autre, il ne l'entraîne contre nous;a et je vous avoue que je voudrais volontiers prévenir les desseins de ceux qui voudraient ravager et dévaster la Prusse, la Silésie et les Marches. J'ai suivi exactement envers la France la conduite que vous indiquez, et je demeure muet envers la Russie; car qu'écrirais-je à l'Impératrice? sur quel sujet? à quelle occasion? Je n'ai jusqu'à présent rien sur quoi je puisse la féliciter, et je manque de prétexte pour lui adresser des lettres. A l'égard de la France, vous ne sauriez croire à quel point va la faiblesse du ministère de Versailles, et vous ne devez pas vous étonner s'il abandonne les Turcs à la discrétion des deux cours impériales, d'autant plus que l'Empereur, comme vous le verrez, suivra la politique que je vous ai tracée dans une de mes lettres précédentes; il évitera de donner ouvertement prise aux Français, et si les Russes font la guerre heureusement, il escamotera des Turcs, sous prétexte de limites mal réglées, ce qu'il pourra de la Bosnie, de la Valachie et de tout ce qu'il pourra s'approprier, et tous les secours que les Russes tireront de lui se réduiront à des vivres de la Hongrie, et, s'il le faut, à quelques subsides. J'irai, en attendant, ad patres, et je laisserai ce pays sans liaisons, sans amis, et dans une situation à ne pouvoir parer les coups que l'Empereur médite de lui porter. Voilà, mon cher frère, la cause de mes embarras. Je travaille en honnête homme pour le bien de l'État; mais si je meurs dans cette crise, il n'a pas dépendu de moi de former maintenant ces alliances, et après ma mort on en rejettera tout le blâme sur ma mémoire. Toutes mes lettres de la Russie sont remplies des arrangements guerriers qui s'y font, et, à moins d'un miracle, les opérations commenceront le printemps prochain par le siége d'Oczakow; ce sera donc l'année 1783 qui nous étalera les événements de cette nouvelle guerre, qui servira,


a Voyez t. XXV, p. 350 et 351, no 18, et ci-dessus, p. 342, 358 et 397.