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230. AU MÊME.

Potsdam, 24 janvier 1771.

Je crains beaucoup que si les Russes ne se désistent de leur grand projet d'abaisser les Turcs, ils n'entrent, cette année encore, en guerre contre la maison d'Autriche. Cela me mettra dans un grand embarras. Jamais les Autrichiens ne consentiront à l'abaissement de la Porte; pour moi, je me verrai forcé de demeurer neutre dans cette bagarre, la guerre étant encore trop prématurée pour nous. Celle dont nous sortons a été trop ruineuse et trop violente pour que nous puissions sitôt en entreprendre une nouvelle, et ce qu'on nous fait voir en perspective, l'Ermeland, ne vaut pas la peine de dépenser six sous pour l'acquérir. Si les Autrichiens entrent en guerre avec les Russes, comme je le crains fort, il y aura bien entre eux d'autres choses à régler que ce cordon de la Pologne, qu'ils ont envahie; ainsi je ne me presserai pas, et j'attendrai si les événements favorisent pour faire quelque acquisition, ou bien je demeure comme je suis. En attendant, à tout moment que la paix continue nous acquérons de nouvelles forces, et si la Russie et l'Autriche s'épuisent les unes contre les autres, je crois qu'il y aura plus à gagner pour la puissance neutre que pour les puissances belligérantes; du moins pourrai-je soutenir ma neutralité avec dignité. J'attends votre retour, mon cher frère, pour profiter de vos lumières et de ce que vous avez vu là-bas; mais je crois que, en vous ayant mis au fait de certaines circonstances que je n'ai pu confier à des postes étrangères, vous serez peut-être de mon avis; car je croirais faire une faute impardonnable en politique, si je travaillais à l'agrandissement d'une puissance qui pourra devenir un voisin redoutable et terrible pour toute l'Europe. Je suis, etc.