<362>

200. DU PRINCE HENRI.

Rheinsberg, 23 juin 1769.



Mon très-cher frère,

Puissent les eaux que vous prenez, mon très-cher frère, contribuer au bien de votre santé, et conserver une vie qui m'est si précieuse, et pour laquelle je fais les vœux les plus sincères et les plus tendres!

Je ne m'attendais à rien moins qu'à la retraite de Paoli et à l'abandon de la Corse. Je puis avouer que j'en suis affligé; on s'intéresse toujours pour les grandes âmes; celle de Paoli avait paru supérieure jusqu'ici. Les Français, quoique triomphants, jouiront du bénéfice d'une conquête, sans que la gloire daigne orner le char de victoire de M. de Vaux; la trahison et la cruauté n'embellissent pas celui que la fortune seconde. Le duc de Choiseul sera très-fier d'avoir réussi; cela pourrait le maintenir dans le ministère, quoique les gazettes ont nommé le cardinal Bernis, qui rentrerait à son retour de Rome, comme ministre, au conseil du Roi. Les mêmes gazettes disent que le duc de Richelieu remplacerait le maréchal d'Estrées au conseil. Vous saurez, mon très-cher frère, le cas qu'on doit faire de ces nouvelles. Celle que vous daignez m'apprendre relativement aux démêlés qu'il y a eu à Londres entre les ambassadeurs de France et de Russie m'a fort surpris; les Français oublient que le temps est passé où Louis XIV soutenait l'insolence de ses ambassadeurs par des armées commandées par des Condé, des Turenne ou des Luxembourg. En décomptant le nombre des troupes qu'ils ont en Corse, je crois que, non compris les milices, il ne reste pas à Louis XV soixante mille hommes de troupes réglées dans toute la France; si un orage politique s'assemblait contre cette nation, la fierté du ministère serait très-embarrassée, et je crois que leur affaire irait bien plus mal que la présomption d'un duc de Choiseul lui permet de le penser. Je