<356> mon esprit, et je n'ai encore point vu d'exemple d'hommes qui aient changé de caractère, parce qu'ils naissent comme les fruits et les plantes, qui ne pourraient changer de propriétés sans que l'ordre général de la nature en fût bouleversé. D'ailleurs, ce bon évêque d'Hippone, après sa conversion même, était si mauvais dialecticien, que dans quelques ouvrages il prêche la tolérance, dans d'autres la persécution; tantôt la fatalité absolue, tantôt le libre arbitre. Il me semble que l'effet principal de la grâce efficace devrait consister à rectifier le raisonnement; et ce qui me console d'en manquer, ce sont les pitoyables raisonnements de saint Augustin. J'attends, mon cher frère, avec impatience le plaisir de vous embrasser et de vous assurer de vive voix de la tendresse infinie et de la haute estime avec laquelle je suis, etc.

196. AU MÊME.

Le 3 décembre 1768.



Mon cher frère,

Vous voyez, mon cher frère, que souvent les apparences sont bien trompeuses. Nous sommes dans une grande crise, où il faudra du bonheur pour en bien sortir. La nouvelle de la guerre a surpris et consterné les Russes, parce qu'ils ne s'y attendaient pas du tout; jamais ils n'ont tenu un langage plus poli qu'à présent. Toutefois ils exigent beaucoup, et je suis très-résolu à ne point m'embarquer dans une guerre qui ne nous regarde pas, et dont le fruit serait pour un autre. Cependant les courriers vont et viennent, les négociations s'échauffent, et je crois qu'il n'y aura que les marchands d'encre et