2. DE LA DUCHESSE LOUISE-DOROTHÉE DE SAXE-GOTHA.

Gotha, 27 août 1768.



Sire,

Les bontés de Votre Majesté, dont je viens encore de recevoir les marques flatteuses par sa lettre gracieuse et adorable du 14 de ce<661> mois,661-a m'enhardissent de nouveau à lui en témoigner ma respectueuse reconnaissance. Je suis vivement touchée de l'intérêt que V. M. daigne prendre à la santé du Duc, et de tout ce qu'il lui plaît de me dire sur ce sujet, qui me tient à cœur. J'avoue que c'est en frémissant que j'envisage sa perte, qui ne serait que trop réelle pour toute ma famille; il n'y a que l'incertitude des choses humaines, et l'espérance que j'ai que je ne survivrais pas à cette dure séparation, qui puissent me tranquilliser. Je détourne le plus que je puis la vue, à des objets aussi sinistres qu'accablants pour moi. Dans cette vallée de misère, notre plus grand avantage, à mon avis, consiste à ne point prévoir toujours l'avenir, et je conclus de là que celui qui prévoit le moins est le plus heureux. Je suis charmée, Sire, d'apprendre que V. M. n'ait pas désapprouvé la liberté que j'ai prise de lui envoyer le Catéchisme de Voltaire, et je ne doute point que cet ouvrage ne gagnera infiniment par les corrections qu'elle a dessein d'y faire; mais je ne suis pas assez téméraire pour supplier V. M. de vouloir m'honorer d'un exemplaire de cette nouvelle édition. Il est certain que si le grave et sottement orthodoxe Cyprianus avait vécu encore à l'impression de cet édifiant livret, il n'aurait pas manqué de le condamner au feu. Il s'effarouchait facilement, et son zèle pieux l'emportait follement. Je n'oublierai jamais combien il fut scandalisé quand je fis construire une machine selon le système de Copernic. J'avais donné la direction de cet ouvrage à un prêtre d'ici; Cyprianus fait venir chez lui cet homme, le menace de la colère céleste, et comme le prêtre s'excuse, et prouve que ce système n'était nullement contraire aux dogmes de notre religion, le scrupuleux docteur réplique : « Assûrement oui, car nous ne saurons plus où placer les deux Églises, ni distinguer l'orientale de l'occidentale; c'est donc fomenter le trouble et la confusion. » Je demande très-humblement pardon à V. M. de cette anecdote, qui me revient toutes les fois que j'entends<662> le nom de Cyprianus, et qui caractérise si parfaitement ce saint personnage. Je serais très-flattée, Sire, de faire la connaissance de M. d'Alembert;662-a je ne puis qu'admirer ceux que V. M. honore de sa bienveillance. Je serais bien fâchée si M. d'Alembert passait par ici pendant que nous serons à Altenbourg, où nous comptons nous rendre la semaine prochaine pour quelque temps. Si nous n'avons pas, Sire, l'avantage, avec tant de maisons en Allemagne, d'avoir V. M. pour oncle, nous pouvons du moins les défier toutes de ne pouvoir vous être plus inviolablement, plus respectueusement, oserai-je ajouter plus tendrement attachées que nous le sommes tous dans ma famille. Non, Sire, il est impossible de vous adorer davantage. La protection généreuse de V. M. nous tient lieu des liens du sang; elle fait tout mon bonheur et l'objet de mes désirs les plus ardents. J'en ose demander très-humblement la continuation avec anxiété, en faveur des sentiments qui m'animent, et qui m'animeront toute ma vie. Je suis,



Sire,

de Votre Majesté
la très-humble, très-obéissante servante,
LOUISE-DOROTHÉE, D. D. S.


661-a Voyez t. XVIII, p. 260-267, no 52.

662-a Voyez t. XVIII, p. 261, et t. XXIV, p. XI et 418, no 15.