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267. DU MÊME.

Paris, 28 avril 1783.



Sire,

Je suis presque honteux d'entretenir sans cesse Votre Majesté de mon malheureux état, et il y a longtemps que j'aurais gardé le silence sur ce triste objet, si l'intérêt que votre bonté veut bien y prendre ne me faisait un devoir de l'en instruire. Je veux au moins abréger ce détail, en me bornant à dire à V. M. que cet état est toujours à peu près le même : douleurs périodiques et vives, relâchement ensuite, quoique toujours avec souffrance, très-peu de sommeil en tout temps, abattement et faiblesse presque continuelle. Les lettres seules dont V. M. veut bien m'honorer me procurent quelque consolation; et j'ai reçu avec la plus tendre reconnaissance le nouvel adoucissement qu'elle a bien voulu apporter à mes maux en chargeant M. le chevalier de Gaussens, secrétaire d'ambassade de France, de venir, à son arrivée à Paris, savoir de mes nouvelles, et en instruire V. M. Il s'est acquitté, Sire, avec zèle et avec empressement de cette commission si flatteuse et si douce pour moi; il a même eu la bonté de venir plusieurs fois, et j'ai eu, de mon côté, le plaisir si cher à mon cœur de lui parler beaucoup plus de V. M. que de moi. J'ai vu avec la plus douce et la plus tendre satisfaction tous les sentiments de respect, d'admiration et de reconnaissance dont M. le chevalier de Gaussens est pénétré pour V. M.; j'ai appris avec moins d'étonnement que de plaisir tout ce qu'elle fait pour le bien de ses peuples, et j'en ai vu encore l'intéressant détail dans un mémoire lu dernièrement par M. de Hertzberg à l'Académie de Berlin.281-a J'ai lu ce détail à toute la<282> société d'amis qui se rassemble auprès de ma souffrante personne, et je les ai renvoyés pénétrés de vénération pour un prince si précieux à ses sujets, et si digne de servir en tout de modèle aux autres monarques.

La philosophie si consolante et si douce dont V. M. veut bien remplir les lettres dont elle m'honore est encore. Sire, un soulagement pour moi. Mais cette philosophie n'a guère d'armes et de ressource contre les maux physiques que la patience, qui ne les guérit pas.

Voilà donc la paix faite; Dieu veuille qu'elle dure longtemps, car, outre que la guerre est un grand mal, ni nous ni nos ennemis ne savons la faire. On nous menace toujours qu'elle va bientôt renaître dans le Nord et en Turquie. L'Europe n'a pas besoin de ce nouveau fléau, et je désire bien vivement qu'il épargne V. M., à qui il ne faut plus que du repos et la jouissance paisible de toute sa gloire.

On travaille toujours très-ardemment à la nouvelle édition de Voltaire qui se fait à Kehl; elle sera magnifique, et de plusieurs volumes plus riche que les précédentes. Elle paraîtra, dit-on, dans une année au plus tard, et peut-être plus tôt. Je sais aussi qu'il paraît une Histoire de la Bastille, de Linguet,282-a qui ne sait que mentir impudemment, et qui par conséquent pourrait bien encore ne pas dire vrai, même lorsqu'il a si beau jeu pour ne dire que ce qui est. Je connais l'ouvrage sur les lettres de cachet;282-b il serait meilleur, si l'auteur, qui n'est pas Linguet, y avait moins prodigué les lieux communs et les déclamations.

Le César Joseph continue, ce me semble, à traiter rigoureusement la cohorte sacerdotale. Il est bien sûr que cet exemple ne sera<283> pas suivi en France, où les prêtres, quoique haïs et méprisés par le gouvernement, conservent cependant un grand crédit, parce qu'on a la simplicité de les craindre, comme s'ils pouvaient avoir d'autre force que celle que le gouvernement leur-donne. V. M. a bien raison; l'erreur et la sottise sont faites pour l'espèce humaine, et il faut se résoudre à l'y laisser croupir, puisqu'elle veut, et quelle fait tant de mal à ceux qui voudraient l'en tirer.

Je crois avoir déjà eu l'honneur de dire à V. M. que j'ai lu avec le même plaisir qu'elle la traduction d'Euripide, de M. Prévost, qui est un homme de beaucoup de mérite, et plein de connaissances en plusieurs genres. Je ne connais point la traduction de l'Histoire Auguste, de M. Moulines,283-a et j'écris à Berlin pour me la procurer, car cette histoire est très-intéressante.

Comme il est aujourd'hui aussi décidé qu'il le peut être en médecine que mon mal n'est point la pierre, je ne puis ni ne dois faire usage des remèdes qui se prétendent propres à cette maladie. La mienne est très-difficile à définir, et plus encore à guérir. Il y faudrait des remèdes contraires, car il y a à la fois relâchement et spasme. Les docteurs y perdent leur latin, et moi l'espérance.

Je suis, malgré tous mes maux, avec la vénération la plus tendre, etc.


281-a Dissertation sur les révolutions des États, et particulièrement sur celles de l'Allemagne, lue à l'Académie le 30 janvier 1783. Voyez les Huit Dissertations que M. le comte de Hertzberg a lues dans l'Académie de Berlin. Berlin, 1787, p. 105-140.

282-a Mémoires sur la Bastille, et sur la détention de M. Linguet, écrits par lui-même. Londres, 1783, in-8.

282-b L'ouvrage Des lettres de cachet et des prisons d'État, Hambourg (Paris) 1782, deux volumes in-8, est généralement attribué à Honoré-Gabriel-Riquetti, comte de Mirabeau; mais, selon la France littéraire, par Quérard, on assure qu'il est du bailli de Mirabeau, oncle du célèbre orateur.

283-a Voyez t. XX, p. XIV.