233. DE D'ALEMBERT.

Paris, 11 mai 1781, anniversaire de la bataille de Fontenoi,
dix ans avant le traité de Versailles. 202-a



Sire,

Votre Majesté prétend, dans la dernière lettre dont elle a bien voulu m'honorer, que nous faisons chaque jour des pertes, elle et moi, et que nous envoyons notre gros bagage prendre les devants, assurés de le suivre dans peu. Cela n'est que trop vrai de mon frêle individu; mais permettez-moi, Sire, pour ce qui vous regarde, de n'être pas là-dessus de l'avis de V. M. Je crois au contraire, à en juger par ses lettres, qu'elle se fortifie et rajeunit tous les jours, tant ces lettres sont pleines de gaîté et d'excellente plaisanterie. Tout ce que V. M. me fait l'honneur de m'écrire sur la querelle des ministres est du meilleur ton et du meilleur goût, digne de la cause soumise par eux à la décision de V. M., et digne de la sagesse d'un grand roi. Hélas! Sire (et c'est la réflexion de tous ceux à qui j'ai lu cet endroit de votre lettre), pourquoi les autres souverains n'ont-ils pas eu et n'ont-ils pas encore le même dédain que vous pour ces billevesées? Combien<203> ils auraient épargné de sang et de malheurs à la sotte et déplorable espèce humaine! Voilà un évêque d'Amiens, fanatique successeur de celui qui a demandé le supplice du chevalier de La Barre, voilà, dis-je, cet évêque d'Amiens, nommé Machault, fils de l'ancien contrôleur général des finances, qui vient de donner un mandement forcené contre l'édition qu'on prépare des œuvres de Voltaire. Si on savait, en France, imposer silence à ces sonneurs de tocsin, ils n'auraient ni partisans, ni imitateurs. Peut-être à la fin sentira-t-on la nécessité de les réprimer pour l'honneur de la raison et le repos public. Dieu veuille qu'on y suive votre exemple!

Il me semble que l'empereur d'aujourd'hui traite un peu lestement les prêtres, les moines et le pape. Il faut espérer que cette première hostilité impériale aura des suites plus sérieuses. Ainsi soit-il!

Je suis avec la plus tendre et la plus profonde vénération, etc.


202-a Voyez t. III, p. 109-111, et t. IV, p. 38.