<257> Cette affaire du 12 avrila est, ce me semble, le chef-d'œuvre de l'ignorance et de la bravoure française. Dieu nous donne la paix dont nous avons si grand besoin, ainsi que nos ennemis, qui. de leur côté, n'ont guère moins fait de sottises que nous! Cette paix serait peutêtre bientôt faite, s'il ne plaisait pas au grand protecteur de l'inquisition de s'opiniâtrer à ce beau siége de Gibraltar, où la nation espagnole et son roi acquièrent depuis quatre ans une gloire si brillante.

V. M. me paraît avoir très-bien jugé l'abbé Raynal. Il est trop sûr de son fait dans tout ce qu'il avance, et soutiendrait presque à chaque souverain et à chaque État de l'Europe qu'il sait mieux que lui-même ses forces et ses revenus. Mais d'ailleurs son ouvrage est utile, et lui a valu chez les étrangers, et dans sa patrie même, une célébrité qui le dédommage de la persécution excitée contre lui par les fanatiques. On me mande qu'il est enchanté de V. M., et je n'ai pas de peine à le croire. Je sais par expérience qu'elle renvoie avec cette disposition tous ceux qui ont eu le bonheur de l'approcher.

Nous avons eu ici pendant un mois M. le comte et madame la comtesse du Nord.b Ils sont partis il y a deux jours pour Brest, et paraissent fort contents de leur séjour à Paris et de l'accueil que tous les états se sont empressés de leur faire. Ils ont, de leur côté, très-bien réussi par la politesse dont ils ont été pour tout le monde. M. le comte du Nord m'a fait l'honneur de venir chez moi, avant même que j'eusse pris la liberté de me présenter chez lui. Il m'a dit les choses les plus honnêtes sur le désir qu'on avait eu de me posséder à Pétersbourg,c ce sont les termes dont il s'est servi, et sur les re-


a La bataille de la Guadeloupe, où l'amiral de Grasse fut fait prisonnier par l'amiral Rodney.

b Le grand-duc de Russie et la grande-duchesse sa femme.

c D'Alembert dit dans son Mémoire sur lui-même : « A la fin de 1762, l'impératrice de Russie, Catherine II, lui proposa de se charger de l'éducation du grand-duc de Russie son fils, et lui fit offrir pour cet objet jusqu'à cent mille livres de rente par le ministre qu'elle avait alors à Paris, M. de Soltykoff. M. d'Alembert refusa de s'en charger. » Voyez Œuvres posthumes de d'Alembert. Paris, 1799, t. I, p. 4 et 5. Voyez aussi nos t. XIX, p. 428, et XXIV, p. 438.