<220> n'est impossible, et que celui qui a l'impertinence de vivre le plus longtemps trouve toujours du nouveau.

Si je voulais faire un recueil nouveau des choses que j'ai vues, on en imprimerait autant de volumes que de l'Encyclopédie. En voici quelques-unes pour échantillons. J'ai vu Louis XIV, à peine au tombeau, méprisé et oublié; j'ai vu reines de France une Poissona et une madame Lange;a j'ai vu le feu et l'eau se réunir, les Bourbons s'allier aux Habsbourg; j'ai vu les jésuites détruits; j'ai vu la philosophie tirer du puits la vérité; j'ai vu des barbares refuser la tombe à Voltaire; je vois des enfants rebelles se mutiner contre le pape leur père, le houspiller, le piller et le dégrader; je vois encore nombre d'autres choses, et je me tais.b Si ce prospectus plaît au public, le reste de l'ouvrage coulera de source. Et vous, messieurs les décacheteurs de lettres, si vous croyez savoir tout ce que je pense, en lisant ce peu de lignes, je vous avertis que vous vous trompez; et encore, si vous le saviez, vous n'auriez la mémoire chargée que de quelques balivernes de plus.

Mais vous, mon cher Anaxagoras, vous attendez de moi des épigrammes quand les symboles de l'hiver couvrent ma tête à demi chenue, que mon sang se glace, que mon imagination se refroidit, et que je traîne avec peine les membres cadavéreux de mon ancienne existence. Hélas! les roses de mon bel âge se sont fanées, et, en tombant, elles ne m'ont laissé que les épines de la caducité. Il ferait beau me voir avec une voix tremblante déclamer une faible épigramme contre Beaumont,c lui qui mériterait d'être déchiré par une troupe de satyres et de bacchantes. Cette lettre-ci, je vous l'écris en brodequins; j'avais chaussé le cothurne en vous écrivant la précédente.


a La marquise de Pompadour et la comtesse Du Barri.

b Réminiscence de la poésie des J'ai vu, attribuée faussement à Voltaire. Voyez t. VII, p. 60.

c Ce prélat mourut le 12 décembre 1781.