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210. DE D'ALEMBERT.

Paris, 19 novembre 1779.



Sire,

J'ai été pendant quelques semaines dans la plus affligeante inquiétude de ne point recevoir de lettre de V. M. Pourquoi n'oserais-je pas lui avouer ce sentiment, dont le principe au moins ne saurait lui déplaire, puisqu'il n'est dicté que par ma tendre vénération pour elle? Je savais par M. le baron de Goltz que V. M. se portait bien, et je m'affligeais de son long silence. Ce n'est pas, Sire, que je ne sache très-bien que V. M. a beaucoup mieux à faire que de répondre aux rapsodies que je lui envoie; mais vos bontés, Sire, si accumulées sur moi à tous égards, m'ont un peu gâté, permettez-moi cette expression, et je ne puis plus me passer de recevoir au moins de temps en temps quelques lignes consolantes, signées Federic. Enfin, j'ai été bien agréablement tiré de mon inquiétude en recevant, il y a quelques jours, la charmante lettre de V. M., en date du 7 octobre. Elle ne m'est arrivée qu'à plus de cinq semaines de date, parce que le paquet auquel elle était jointe n'a pas sans doute été expédié par la poste ordinaire. Je vous dois, Sire, les plus vives actions de grâces et de cette lettre, et de ce paquet précieux à tous égards, tant par les choses qu'il contient que par la main respectable et chère qui m'a fait l'honneur de me l'envoyer. Je n'ai pas perdu un moment, Sire, pour lire et relire les deux excellents ouvrages que ce paquet renfermait. Rien n'est à la fois plus piquant, plus philosophique et plus gai que le Commentaire théologique et apostolique sur la sacrée prophétie de Barbe-bleue. Quand V. M. aurait passé sa vie à lire Dom Calmet et les autres absurdes scoliastes, elle ne pourrait tourner plus finement et plus utilement pour la raison tant de sottises en ridicule. Je suis vraiment affligé que cette excellente plaisanterie philosophique ne soit pas plus