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86. DE D'ALEMBERT.

Lyon, 12 octobre 1770.



Sire,

Je viens de passer quinze jours à Ferney, chez M. de Voltaire;556-a il m'a paru pénétré de reconnaissance des bontés de V. M., et les sentir avec un vif attendrissement. Il m'a souvent parlé avec le plus grand intérêt de tout ce que la philosophie et les lettres doivent à V. M., du besoin égal et important qu'elles ont et de votre protection, et de votre exemple, et du vœu unanime qu'elles doivent faire pour la conservation de vos jours si précieux à l'humanité. Je partage bien vivement, Sire, tous ces sentiments avec tous ceux qui pensent; et, indépendamment de l'intérêt général de la littérature, tout ce que je dois personnellement à V. M. m'en ferait une loi, si je puis appeler loi un sentiment si cher à mon cœur.

M. Mettra m'a donné des lettres de crédit pour la concurrence de six mille livres; je prie V. M. d'agréer ma tendre et respectueuse reconnaissance. Je ne ferai usage, Sire, que d'une partie de ces lettres; les frais de mon voyage ne monteront pas à beaucoup près jusque-là, car je suis déterminé à me borner au voyage de Languedoc et de Provence. Je sens, par la fatigue que j'ai déjà éprouvée, que celle du voyage d'Italie serait trop forte pour ma faible santé, et j'espère que le voyage des provinces méridionales de France me produira le même bien, sans me faire courir les mêmes risques, les chemins et les gîtes y étant incomparablement meilleurs qu'en Italie. Je compte être encore deux mois dans un mouvement presque continuel, et j'aurai l'honneur, puisque V. M. veut bien s'y intéresser, de lui rendre compte du succès de ce voyage. Je suis ici depuis deux<557> jours, et après avoir vu la ville, j'en partirai après-demain pour Montpellier. J'y trouverai des médecins qui ne me guériront pas, mais qui me diront sûrement de très-belles choses. Mon estomac va déjà beaucoup mieux; ma tête est à peu près de même, mais j'espère qu'enfin elle imitera mon estomac. J'abuse des bontés et du temps de V. M. en lui faisant ces détails; et je finis en mettant à ses pieds le profond respect, la vive admiration, et la tendre et éternelle reconnaissance avec laquelle je serai toute ma vie, etc.


556-a Voyez t. XXIII, p. 192.