170. A L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

Le 29 juillet 1773.



Madame ma sœur,

Quoique Votre Altesse Royale ait le don de persuader tout ce qu'elle veut, malgré l'ascendant que son génie a sur mon esprit, elle ne me convaincra pas cependant de l'accomplissement de mes prophéties, parce que l'événement n'a pas répondu à ce que j'ai eu, madame, la témérité de vous annoncer. La guerre continue, et l'on se bat, vers les bords du Pont-Euxin, de meilleur cœur que jamais. Cependant, madame, il nous faut un mois pour avoir des nouvelles de ces champs où Bellone exerce ses fureurs; le bruit des armes et le tonnerre artificiel ne retentissent point à nos oreilles; les Muses de l'Elbe et de<283> l'Oder n'en sont point troublées, et sans doute, quoique plus tard que j'osais l'espérer, la paix descendra des voûtes azurées pour fermer le temple de Janus, et V. A. R. jouira, dans le sein d'une famille qu'elle a créée, des mêmes délices qu'elle a senties dans le sein de cette famille dont elle est issue.

J'ai eu une satisfaction approchante en revoyant ici la princesse d'Orange. Le nom de V. A. R. a été mêlé à tous nos entretiens, et les échos des environs ont retenti des vives expressions de nos cœurs, et de ce qu'on ose et doit dire à l'univers, hors à V. A. R. Ces mêmes lieux nous ont rappelé le bonheur que nous avons eu de la posséder, et il semblait que les murailles s'enorgueillissaient encore d'avoir possédé dans leur enclos le phénix des princesses. Pardonnez-moi, madame, cette expression qui m'est échappée; on a beau voiler la vérité, elle perce, quelque peine qu'on se donne de la cacher. Ma nièce est sur son départ pour la Hollande; elle passe par Rheinsberg, où mon frère Henri lui donnera encore quelques fêtes avant qu'elle se mette en route.

C'est en faisant mille vœux pour la prospérité de V. A. R. que je la prie de me croire avec la plus haute estime et la plus vive admiration, etc.