163. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

Wertheim, 26 octobre 1772.



Sire,

Je suis toujours dans cette patrie que j'aime encore davantage depuis que V. M. justifie mon attachement pour elle. J'y jouis tranquillement de toutes les réminiscences agréables qu'elle me présente, tandis que vous étendez la vôtre, Sire, et que vous créez un nouvel ordre<273> de choses. Qu'on ne me dise plus de mal du siècle où nous vivons, ni des hommes d'aujourd'hui; quoique j'aie encore l'esprit tout occupé des images de ces grands hommes de l'antiquité qu'on croyait inimitables, il s'en faut bien que je leur accorde la préférence sur les héros de ce siècle. J'en vois aujourd'hui de plus inimitables qu'eux; je vois de plus grandes choses, préparées avec plus de prudence et de sagacité, exécutées avec plus de précision et de promptitude, et de glandes machines mues par des ressorts plus simples. Il n'y avait qu'un Marc-Aurèle; je ne vois qu'un Frédéric qui le surpasse, mais je vois en même temps plusieurs souverains qui l'égalent. Il semble, Sire, qu'il soit réglé par le destin que plus on appartient de près à V. M., plus on est doué de toutes les qualités qui font le héros. Quoi de plus surprenant que cette révolution de Suède, opérée par le Roi votre neveu!273-a Quel calme dans un aussi grand danger et clans une entreprise si importante! Quelle intrépidité, quelle activité, et cependant quelle modération, tout cela à l'âge de vingt-six ans, à cet âge où tout chez les hommes ordinaires, jusqu'à la vertu et à l'amour du bien, devient passion! J'admire un gouvernement sage et modéré que je vois naître tout à coup du sein de l'anarchie la plus complète; cette admiration m'occupe agréablement, et je m'imagine quelquefois qu il y a une sorte de mérite à sentir vivement le grand et le beau. Que de sujets d'admiration ne me fournit pas Frédéric! A peine en croit-on à la voix. Son nom obscurcira tous ses contemporains dans les annales de ce siècle, et la postérité ne voudra lire que ses faits. Je ne suis jamais plus glorieuse que quand il m'arrive une lettre de ce héros admirable, ni plus heureuse que lorsque j'y réponds.

Recevez, Sire, de la femme de la terre qui vous révère le plus l'hommage de la haute estime et de l'inviolable attachement avec lequel je suis, etc.


273-a Voyez t. VI, p. 53 et 54.