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133. A L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

1er août 1770.



Madame ma sœur,

Je viens de recueillir les premiers pisangs224-a crûs dans mon jardin; ce sont des prémices que les peuples offrent à leurs dieux; je les présente donc à diva Antonia, et je supplie cette divinité de vouloir les prendre en bonne part. Les simples mets que Baucis et Philémon présentèrent à Jupiter lui furent plus agréables que les pompeux sacrifices que la vanité des puissants offrait moins au maître du tonnerre que pour contenter leur vaine ostentation. J'espère, madame, que mes pisangs trouveront de même grâce devant vos yeux. Nous sommes ici un petit troupeau qui vous offrons journellement nos vœux en cœur et en esprit; c'est la princesse Henri,224-b ma sœur Amélie, et la landgrave de Darmstadt. Nous disons ici tout haut ce que votre présence nous oblige de penser tout bas, et ce de quoi toute l'Europe convient, d'une certaine princesse d'origine bavaroise, qui fait, de nos jours, l'ornement et la splendeur de l'Allemagne. Pour cette fois, V. A. R. n'en saura rien de plus; je crains même d'en avoir déjà trop dit.

En attendant, madame, que ce nouveau citoyen de l'univers que nous attendons arrive, nous nous amusons avec la tragédie. Hier nous avons eu l'Iphigénie de Racine. L'excellence de la pièce a brillé malgré la médiocrité des acteurs qui la reprenaient; tant le génie de Racine était supérieur à celui des auteurs dramatiques modernes. Ces divertissements sont mêlés de quelque peu de musique d'Église, où le contrapunto attire surtout l'attention de ma sœur. Mais ces nouvelles sont peu amusantes et peu dignes d'être marquées à V. A. R.,<225> qui sait faire un meilleur emploi de son temps qu'à lire les billevesées que je lui écris.

Recevez, madame, avec votre bonté ordinaire les assurances de l'attachement et de l'admiration avec laquelle je suis, etc.


224-a Voyez Manger's Baugeschichte von Potsdam, p. 250, 265 et 345.

224-b Voyez t. VI, p. 245 et 250, n° 10.