101. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

Dresde, 23 août 1768.



Sire,

La dernière lettre que Votre Majesté m'a fait l'honneur de m'écrire m'a donné la joie de vous savoir heureusement retourné de votre voyage, et le plaisir de rire de grand cœur de tout ce que vous m'en dites. Je sais bien, Sire, que vous n'avez pas toujours fait rire les gens, et que les généraux ennemis ne vous trouvent pas fort plaisant<176> quand vous êtes à la tête de vos armées. Mais c'est encore une preuve que vous êtes tout ce que vous voulez être. Tant pis pour vos ennemis, si vous leur paraissez très-sérieux. Pour moi, qui n'ai pas le malheur d'être votre ennemie, rien ne m'empêche de rire de votre opéra hollandais, de vos héros voyageurs, et de votre titre de grand moutardier du pape. Prenez seulement garde, Sire, que ce ne soit pas de la moutarde après dîner. De la manière dont quelques puissances ont commencé, l'ordinaire du saint-père sera fort ébréché, et si tout le monde reprend ce qui lui a appartenu anciennement, il court risque de faire très-mauvaise chère. Il sera beau alors de voir un roi protestant rétablir sa cuisine. C'est où je vous attends, Sire, et je ne compte pas rester longtemps dans l'attente. V. M. est faite pour étonner l'Europe par des combinaisons grandes et profondes, qui confondent d'abord la politique du vulgaire, mais que l'effet justifie bientôt. C'est ce que je me dis toujours, quand il m'arrive de méditer sur la destinée des États, et de vous passer en revue, vous autres grands princes qui la réglez. Je finis chaque fois par redoubler, s'il se peut, d'admiration et d'estime pour V. M. Tels sont les sentiments avec lesquels je ne cesserai d'être, etc.