<685>Pour M. de Guibert, j'ai cru qu'il avait abjuré son art inhumain entre les mains de Voltaire. Je n'ai pas eu le temps d'entendre sa tragédie; il m'a dit qu'il méditait pour l'année prochaine un voyage au Nord, qu'il passerait par ici, et qu'alors il me lirait sa pièce. Je ne suis fait que pour admirer, et non critiquer ceux qui en savent plus que moi; quelques vers composés pour mon amusement dans une langue étrangère ne me rendent pas assez présomptueux pour me croire maître de l'art. La tragédie m'a paru surtout difficile à traiter; je n'ai pas eu le courage de m'essayer en ce genre,a parce qu'il ne souffre rien de médiocre, et qu'il faut un esprit plus libre de soins que le mien pour se flatter d'y réussir.

A propos d'ouvrages nouveaux, j'ai lu celui d'Helvétius,b et j'ai été fâché, pour l'amour de lui, qu'on l'ait imprimé. Il n'y a point de dialectique dans ce livre; il n'y a que des paralogismes et des cercles de raisonnements vicieux, des paradoxes et des folies complètes, à la tête desquelles il faut placer la république française. Helvétius était honnête homme, mais il ne devait pas se mêler de ce qu'il n'entendait pas; Bayle l'aurait envoyé à l'école pour étudier les rudiments de la logique. Et cela s'appelle des philosophes! Oui, dans le goût de ceux que Lucien a persiflés. Notre pauvre siècle est d'une stérilité affreuse en grands hommes comme en bons ouvrages. Du siècle de Louis XIV, qui fait honneur à l'esprit humain, il ne nous est resté que la lie, et dans peu il n'y aura plus rien du tout.

Diderot est à Pétersbourg, où l'Impératrice l'a comblé de bontés. On dit cependant qu'on le trouve raisonneur ennuyeux; il rabâche sans cesse les mêmes choses. Ce que je sais, c'est que je ne saurais soutenir la lecture de ses livres, tout intrépide lecteur que je suis; il y règne un ton suffisant et une arrogance qui révolte l'instinct de ma liberté. Ce n'était pas ainsi qu'écrivaient Aristote, Cicéron, Lu-


a Voyez t. XIV, p. II, et t. XXI, p. 298, 333 et 334.

b De l'homme, de ses facultés intellectuelles et de son éducation. Voyez t. XXIII, p. 283.