<678> porteur. Il se flattait d'avoir l'honneur de la présenter à V. M. dans le mois d'octobre; mais des circonstances imprévues l'ont obligé, Sire, de retarder son arrivée à Berlin. Je compte qu'il ne tardera pas à y arriver, et je prends la liberté de demander d'avance à V. M. ses bontés pour ce jeune homme, qui en est digne par le nom qu'il porte, par ses talents et par ses vertus.

Le retard imprévu de l'arrivée de cette lettre a été cause, Sire, du silence que j'ai gardé depuis quelques mois à l'égard de V. M., ne voulant pas l'importuner trop souvent au milieu des grandes et même des petites affaires qui l'occupent. Je mets au nombre de ces dernières le petit tour que V. M. joue au cordelier Ganganelli en recevant ses gardes prétoriennes jésuitiques, qu'il a eu la maladresse de licencier.a Je ne sais si ce petit tour n'excitera pas une querelle dans le paradis, et je crains que François d'Assise et Ignace de Loyola ne s'y battent à coups de poing comme les héros du Roman comique.b Ce que je souhaite plus sérieusement, Sire, c'est que V. M. ou ses successeurs ne se repentent jamais de l'asile que vous donnez à ces intrigants, qu'ils vous soient à l'avenir plus fidèles qu'ils ne l'ont été dans la dernière guerre de Silésie, comme V. M. m'a fait l'honneur de me le dire à moi-même, et qu'ils effacent par leur conduite sage et honnête le nom de vermine malfaisante dont V. M. les gratifiait, il y a quatre ou cinq ans, dans une des lettresc qu'elle m'a fait l'honneur de m'écrire. Je serais curieux de demander à présent aux jésuites ce qu'ils pensent de la philosophie et de la tolérance, contre laquelle ils se sont tant déchaînés. Où en seraient-ils dans leur agonie, s'il n'y avait en Europe un roi philosophe et tolérant? J'ai beaucoup ri de l'excellente lettre de V. M. à l'abbé Colombini,d entre autres de la


a Voyez ci-dessus, p. 286, 291 et 292.

b Le Roman comique, par Paul Scarron, première partie, chap. XII. Combat de nuit.

c Voyez ci-dessus, p. 436, et t. XIX, p. 284 et 360.

d On trouve cette lettre à l'abbé Colombini, datée du 13 septembre 1773, dans l'ouvrage de Christophe-Gottlieb Murr, Briefe über die Aufhebung des Jesuiterordens (Sans lieu d'im+ pression), 1774, Stück III, p. 100. Elle paraît supposée. L'agent diplomatique de la Prusse à Rome était alors l'abbé Ciofani, et le nom de Colombini est tout à fait inconnu dans l'histoire de la diplomatie prussienne.