<659> n'en avoir pas assez connu le prix. De pareils génies ne naissent que de loin en loin. L'antiquité grecque nous fournit un Homère, c'était le père de la poésie épique; un Aristote, qui avait, quoique mêlées d'obscurités, des connaissances universelles; un Épicure, auquel il a fallu un commentateur comme Newton pour qu'on lui rendît justice. Les Latins nous fournissent un Cicéron, aussi éloquent que Démosthène, et qui embrassait beaucoup d'érudition dans la sphère de sa capacité; un Virgile, que je regarde comme le plus grand des poëtes. Il se trouve ensuite une très-grande lacune jusqu'aux Bayle, aux Leibniz, aux Newton, aux Voltaire; car une infinité de beaux esprits et de gens à talents ne peuvent se ranger dans cette première classe. Peut-être faut-il que la nature fasse des efforts pour accoucher de ces génies sublimes; peut-être y en a-t-il beaucoup d'étouffés par les hasards de la naissance et par des jeux de la fortune qui les détournent de leur destination; peut-être y a-t-il des années stériles pour la production des esprits, comme il y en a pour les semences et pour les vignes. La France, comme vous le dites, se sent de cette stérilité. On y voit des talents, mais peu de génies. Quoique cette stérilité s'aperçoive chez les voisins, ces voisins mêmes n'en sont pas mieux pourvus. L'Angleterre et l'Italie sont languissantes; un Hume, un Metastasio, ne peuvent entrer en parallèle ni avec le lord Bolingbroke, ni même avec l'Arioste. Pour nos Tudesques, ils ont vingt idiomes, et n'ont aucune langue fixée; cet instrument essentiel qui manque nuit à la culture des belles-lettres. Le goût de la saine critique ne leur est pas encore assez familier. J'essaye de rectifier les écoles sur cette partie si essentielle des humanités; mais peut-être suis-je un borgne qui veut enseigner le chemin à des aveugles. Quant aux sciences, nous ne manquons ni de physiciens ni de mécaniciens; mais le goût de la géométrie ne prend pas encore. J'ai beau dire à mes concitoyens qu'il faut des successeurs à Leibniz, il ne s'en trouve point. Quand des génies naîtront, tout cela se trouvera. Je