<640> bien que j'aie eu l'unanimité des suffrages; j'avais contre moi tous nos académiciens de cour et d'Église, c'est-à-dire près d'un tiers. Mais ce qui me console et me flatte, parce qu'enfin il est agréable d'être jugé par ses pairs, j'avais pour moi tous mes confrères les gens de lettres, excepté un seul, qui est prêtre et dévot politique; et un habitant de Versailles m'a assuré que, malgré la pluralité des suffrages, j'aurais eu l'exclusion de la part de la cour, si les marques de bonté et d'estime que j'ai reçues des étrangers, et surtout de V. M., n'avaient été ma sauvegarde. Ce n'est pas la première fois, Sire, que j'ai éprouvé combien je dois aux bontés de V. M. pour me mettre à l'abri de la persécution dans mon propre pays. Le maréchal de Richelieu, le plus acharné ennemi des lettres, de la philosophie, et de toute espèce de mérite, cet homme si gratuitement célébré par le philosophe de Ferney, était à la tête de la cabale; outré de n'avoir pu réussir, il s'en est vengé sur le pauvre Delille, auteur des Géorgiques, qu'il a fait exclure de l'Académie, quoiqu'il eût eu presque l'unanimité des suffrages, et qu'il soit aussi estimable par son caractère et par sa conduite que par ses talents. Il est bien flatté, Sire, et bien honoré du désir que V. M. lui témoigne de voir une traduction entière de Virgile de sa façon; il en a déjà traduit le quatrième livre, qui m'a paru très-beau. La superstition aura beau faire, les gens de lettres sont comme les fourmis, qui réparent leur habitation quand on l'a détruite.

On m'a assuré qu'on trouvait aux Deux-Ponts le poëme du Bonheur, de M. Helvétius, et qu'il y a une très-belle préface à la tête, dont j'ignore l'auteur. On m'assure aussi qu'on imprime actuellement un autre ouvrage en prose, et beaucoup plus considérable, du même M. Helvétius. J'en ignore jusqu'au titre, mais c'est, dit-on, une espèce de supplément au livre de l'Esprit.

Je suis avec le plus profond respect, etc.