<612> leur conduite à la mésestime où ils vivent. Le gros du monde, qui ne réfléchit point, confond le caractère et le talent de l'artiste, et du mépris de ses mœurs il passe à celui de son art. On croit, parce que les connaissances n'adoucissent et ne corrigent pas le caractère des plus savants, qu'un grand nombre abuse même de ses connaissances, qu'il est inutile d'apprendre et de savoir, que les lumières ne servent qu'à une vaine ostentation, et, puisqu'il n'en revient aucun avantage, qu'elles sont inutiles à la société. Ce raisonnement est géométriquement faux, parce que si l'on voulait condamner toutes les bonnes institutions à cause de l'abus que le monde en fait, il n'en resterait aucune. Que voulez-vous que le public pense, lorsqu'il voit des écrits du même auteur se contredire, qu'on discerne ce que sa plume a librement écrit de ce que sa plume vénale a barbouillé, qu'on voit des libelles infâmes paraître contre le gouvernement, et des cyniques effrontés qui mordent indifféremment tout ce qu'ils rencontrent? que dans des ouvrages philosophiques on retrouve les abominables maximes des Jean Petit,a des Busembaum,b des Malagrida?c Est-ce à des amateurs de la sagesse d'encourager le crime? et après l'attentat de Damiens, ne devrait-on pas être assez circonspect pour ne point échauffer quelque cerveau brûlé par des maximes infernales qui le peuvent porter aux crimes les plus atroces? Si Virgile, si Cicéron, si Varron, si Horace, avaient été noircis de ces traits, ils n'auraient jamais joui dans Rome de la réputation qu'ils conservent encore. Pour rendre les lettres respectables, il faut non seulement du génie, mais surtout des mœurs. Mais ce métier est devenu trop commun, trop de grimauds s'en mêlent, et ce sont eux qui le décréditent.


a Le cordelier Jean Petit, docteur de l'université de Paris, justifia publiquement l'assassinat du duc d'Orléans par le duc de Bourgogne (1407).

b Hermann Busembaum, jésuite, né en 1600 à Notteln dans l'évêché de Münster, mourut à Münster en 1668. Il prêcha la monstrueuse doctrine de l'homicide et du régicide.

c Voyez t. IV, p. 254, et t. XIV, p. 222.