<539> est un digne et heureux fruit de sa convalescence. Je ne connais point l'Essai sur les préjugés que V. M. a pris la peine de réfuter; je sais pourtant que ce livre s'est montré à Paris, et même qu'il s'y est vendu très-cher. Mais il suffit ici qu'un livre touche à certaines matières, et qu'il attaque bien ou mal certaines gens, pour être recherché avec avidité, et pour être en conséquence hors de prix, par les précautions que prend le gouvernement pour arrêter ces sortes d'ouvrages, précautions qui font souvent à l'auteur plus d'honneur qu'il n'en mérite. Quant à moi, je suis si excédé de livres et de brochures contre ce que Voltaire appelle l'infâme, que depuis longtemps je n'en lis plus, et que je suis quelquefois tenté de dire du titre de philosophe ce que Jacques Rosbif dit de celui de monsieur, dans la comédie du Français à Londres :a « Je ne veux point de ce titre-là; il y a trop de faquins qui le portent. »

La critique que fait V. M. de l'Essai sur les préjugés me donne encore moins d'envie de le lire que les autres rapsodies du même genre. On peut dire de tous nos écrivailleurs contre la superstition et le despotisme ce que le père de la Rue, jésuite, disait de son confrère Le Tellier : « Il nous mène si grand train, qu'il nous versera. » Il ne faut point que la philosophie s'amuse à dire des injures aux prêtres; il faut, comme le dit V. M., qu'elle tâche de rendre la religion utile en la faisant concourir au bonheur des peuples; qu'elle éclaire les souverains sur leurs vrais intérêts, et les sujets sur leurs devoirs; qu'elle rende l'autorité plus douce et l'obéissance plus fidèle. C'est une grande sottise d'accuser les philosophes, au moins ceux qui méritent ce nom, de prêcher l'égalité; cette égalité est une chimère impossible, dans quelque état que ce puisse être. La vraie égalité des citoyens consiste en ce qu'ils soient tous également soumis aux lois,


a Le Français à Londres, comédie de L. de Boissy, scène VIII : « Je m'appelle Jacques Rosbif, et non pas monsieur. Je vous ai dit cent fois, ma mie, que ce nom-là m'affligeait les oreilles; il y a tant de faquins qui le portent .... »