<311> le premier orateur, s'il n'avait pas voulu être le premier capitaine,a et les Commentaires de ce grand homme sont un modèle en leur genre. Il ne se servit, pour tromper le peuple, ni de biche comme Sertorius, ni de vieille femme comme Marius, ni de nymphe Égérie comme Numa,b ni de révélations d'anges comme Mahomet,c ni de dieu Ammon qui le déclarât son fils, comme fit Alexandre; il aurait été le premier des mortels, s'il avait été juste. Mais je ne sais où je m'égare; le bonheur de vous écrire, madame, me cause une espèce d'ivresse dont je sais souvent que je ne suis pas le maître.

On espère tout de Sa Sainteté à Rome, et les débris d'un ordre naguère fameux en Europe se flattent que, à quelques modifications près, ils pourront propager et vaquer encore, à l'avenir, à l'éducation de la jeunesse. C'est un des plus beaux emplois que d'élever la postérité, de l'instruire, et de la former aux mœurs comme aux sciences. Le pape est trop élevé pour ne pas sentir des vérités aussi palpables; et que ces instituteurs prennent un autre nom de guerre, qu'ils changent d'uniforme, que le pape même soit leur fondateur, tout cela n'y gâtera rien, pourvu que les universités et les écoles se conservent.

J'ai été charmé du souvenir de l'homme le plus désœuvré de l'Europe; je parle, madame, de votre confesseur, qui n'a jamais de pénitences ni d'indulgences à donner, et qui, comme le reste de l'Europe, en vous entendant, ne peut que vous admirer. Je m'imagine qu'un reste du sang d'Ignace qui circule dans ses veines doit l'intéresser à la ferveur que j'emploie pour soutenir ses confrères, et qu'il fait des vœux pour que des puissances très-catholiques et très-fidèles té-


a C'est Plutarque qui a dit cela, Vie de Jules César, chap. III. Voyez, quant à l'opinion de Cicéron sur l'éloquence de César, la Vie de celui-ci par Suétone, chap. LV.

b Voyez Plutarque, Vie de Sertorius, chap. XI, XII et XX; Vie de C. Marius, chap. XVII : et Vie de Numa, chap. IV et VIII.

c Voyez, t. XXIII, p. 60, la lettre du 2 juillet 1759, où Frédéric parle à Voltaire du pigeon de Mahomet et de la biche de Sertorius.