<299> suis dit dix fois : Tout est assez bien.a Tout est au mieux, disais-je lorsque j'étais à Potsdam; mais ce bonheur charmant a passé comme un songe. C'est un madrigal,b si je ne me trompe, qui a dit cela, et jamais madrigal n'osa penser à V. M. Mais j'y pense pour lui, et puisqu'il me rappelle le souvenir inestimable de vos bontés, il vaut seul un poëme épique. Conservez-les, Sire, à cette femme qui, dans un corps en butte à bien des tribulations, possédera toujours une âme assez saine pour vous admirer, pour vous le dire, et pour sentir vivement, jusqu'au dernier souffle de sa vie, la haute estime avec laquelle elle est, etc.

Je supplie très-humblement V. M. de me pardonner la liberté que j'ai prise de me servir de la main de mon secrétaire; attachée depuis trois semaines sur mon grabat, où je n'ose faire le moindre mouvement, la crainte de mériter son oubli par un plus long silence m'a fait prendre le seul parti qui me restait pour me retracer dans son gracieux souvenir, qui seul peut faire le bonheur de ma vie. Je trace ces lignes couchée sur mon dos, et ce sont les premières depuis mon malheureux accident.c


a Allusion à la fin du conte de Voltaire Le Monde comme il va, vision de Babouc, 1746. Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XXXIII, p. 26.

b Il semble que l'Électrice fasse allusion au célèbre madrigal que Voltaire adressa en 1743 à la princesse Ulrique, sœur de Frédéric. Ces jolis vers se trouvent avec trois réponses dans notre t. XIV, p. 103-106.

c Ce post-scriptum est de la main de l'Électrice, ainsi que la signature de la lettre, dont le corps a été écrit par un secrétaire.