<146>même? Il est vrai que je suis rempli des sentiments que j'ai exposés à V. A. R., et il n'est pas moins vrai que, ayant été jeté par ma destinée dans une route différente, j'ai été obligé de prendre l'esprit du corps duquel je me suis trouvé faire membre. Personne n'est maître de son sort; nous naissons, on nous donne un rôle à jouer, qui souvent ne nous convient pas, et c'est à nous de nous acquitter de notre charge le mieux que nous pouvons. Si nous vivions du temps de Voiture et de Balzac, je dirais à V. A. R. qu'elle est comme ces boîtes où l'on conserve des baumes précieux qui exhalent une odeur admirable, parce que, madame, tout vous fournit matière à dire des choses gracieuses. Si l'âge n'avait pas mûri ma vieille tête, votre lettre, madame, l'aurait fait tourner; mais je sais séparer le peu que je vaux de l'assaisonnement qu'y met votre politesse infinie.

V. A. R. sera peut-être curieuse de savoir à quoi l'on s'occupe ici. Nous faisons, madame, des enfants; nous allons accoucher incessamment, et nous préparons des baptêmes. Cela est très-fort dans les règles, car, après cette horrible boucherie de l'espèce humaine, le plus saint des devoirs est d'en réparer la perte. Si tout le monde pense de même, l'Europe demeurera longtemps tranquille. Si j'avais le don de persuader, que V. A. R. me dénie, je tâcherais de prêcher cette vérité à toute l'Europe; mais, madame, vous m'avez trop humilié pour que j'aie le cœur de l'entreprendre. Je me renferme dans ma petite sphère, et me trouverai trop heureux, si, madame, je puis vous convaincre des sentiments de la haute estime avec lesquels je suis, etc.