<86> ne prouverait-il pas au contraire qu'il les avait gardées fidèlement, qu'il ne les avait communiquées à personne, et qu'un libraire en aurait abusé, ce qui aurait disculpé des personnes qu'on a peut-être injustement accusées? Suis-je d'ailleurs obligé de savoir que Maupertuis vous les avait renvoyées? Quel intérêt ai-je à parler mal de lui? que m'importent sa personne et sa mémoire? en quoi ai-je pu lui faire tort en disant à V. M. qu'il avait gardé fidèlement votre dépôt jusqu'à sa mort? Je ne songe moi-même qu'à mourir, et mon heure approche; mais ne la troublez pas par des reproches injustes, et par des duretés qui sont d'autant plus sensibles, que c'est de vous qu'elles viennent.

Vous m'avez fait assez de mal; vous m'avez brouillé pour jamais avec le roi de France; vous m'avez fait perdre mes emplois et mes pensions; vous m'avez maltraité à Francfort, moi et une femme innocente, une femme considérée, qui a été traînée dans la boue et mise en prison; et ensuite, en m'honorant de vos lettres, vous corrompez la douceur de cette consolation par des reproches amers. Est-il possible que ce soit vous qui me traitiez ainsi, quand je ne suis occupé depuis trois ans qu'à tâcher, quoique inutilement, de vous servir, sans aucune autre vue que celle de suivre ma façon de penser?

Le plus grand mal qu'aient fait vos œuvres, c'est qu'elles ont fait dire aux ennemis de la philosophie, répandus dans toute l'Europe : « Les philosophes ne peuvent vivre en paix, et ne peuvent vivre ensemble. Voici un roi qui ne croit pas en Jésus-Christ; il appelle à sa cour un homme qui n'y croit point, et il le maltraite. Il n'y a nulle humanité dans les prétendus philosophes, et Dieu les punit les uns par les autres. »

Voilà ce que l'on dit, voilà ce qu'on imprime de tous côtés; et, pendant que les fanatiques sont unis, les philosophes sont dispersés et malheureux; et, tandis qu'à la cour de Versailles et ailleurs on m'accuse de vous avoir encouragé à écrire contre la religion chré-